Les députés votent une interdiction des pesticides tueurs d’abeilles


Cela aura été l’un des débats les plus intenses et les plus polémiques du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, examiné du 15 au 17 mars à l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Au terme de deux heures de discussion, les députés ont finalement adopté, par 30 voix contre 28, l’article 51 sur les néonicotinoïdes, une famille de pesticides reconnus nocifs pour les abeilles et les insectes pollinisateurs et, plus généralement, pour l’environnement et la santé.

Le texte interdit l’utilisation de ces molécules à partir du 1er septembre 2018 sur l’ensemble des cultures, « y compris les semences traitées avec ces produits ». Il prévoit également qu’un arrêté ministériel définisse, après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), des « solutions de substitution » à ces substances.

La version de l’article est issue d’un amendement du président de la commission du développement durable de l’Assemblée, Jean-Paul Chanteguet (PS). « Le législateur doit prendre ses responsabilités en interdisant l’utilisation de ces molécules, tout en permettant à la profession agricole de s’adapter », plaide le parlementaire dans son exposé des motifs. Face à la position de plusieurs députés centristes et de droite, préoccupés par les conséquences pour les agriculteurs, et de la secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité, Barbara Pompili, qui a plaidé pour « des solutions responsables, qui puissent s’appliquer », le député a fait le choix d’un compromis. La version précédente du texte, adoptée en commission le 9 mars, prévoyait en effet une entrée en vigueur plus rapide de l’interdiction, à partir du 1er janvier 2017.

« On renverse la mécanique : l’interdiction des néonicotinoïdes devient la règle et leur utilisation l’exception, contrairement à aujourd’hui », se félicite la députée (PS) Delphine Batho, qui regrette toutefois le report à 2018. Surtout, la mesure doit encore être confirmée en deuxième lecture au Sénat, normalement avant l’été.

Rude bataille

L’affaire était loin d’être gagnée à l’Assemblée, tant la bataille s’est avérée rude entre les parlementaires et au sein du gouvernement. Si la plupart des députés ont reconnu, lors du débat, les effets toxiques des néonicotinoïdes, ils ont déposé pas moins de 45 amendements et sous-amendements en une semaine en faveur de la suppression pure et simple de l’article 51 quaterdecies, de sa modification ou d’un retour à la version votée par le Sénat en première lecture en janvier, ne prévoyant qu’un simple encadrement de l’usage des insecticides.

Surtout, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, avait adressé une lettre aux députés lundi 14 mars – une procédure très inhabituelle – pour les inciter à refuser une interdiction « brutale » des néonicotinoïdes. Dans la missive, que Le Monde s’est procurée et qui a créé la polémique, le ministre évoquait des risques de « distorsions entre les agriculteurs français et le reste des agriculteurs européens », et des solutions de remplacement « qui ne présentent aucune garantie supplémentaire pour les pollinisateurs, bien au contraire ».

« Je passe pour quelqu’un qui ne s’occuperait pas de pollinisateurs, qui serait aux mains des lobbys, c’est faux !, se défend-il dans un entretien au Monde. J’ai fait arrêter les usages les plus dangereux de cette famille de pesticides [en agissant en faveur d’un moratoire partiel à l’échelle européenne depuis 2013], mais je ne veux voir aucun néonicotinoïde interdit à moins qu’une alternative crédible n’existe. » Pas question, poursuit-il, de substituer à ces molécules chimiques d’autres qui pourraient se révéler par la suite plus nocives encore. Il insiste donc pour que soient menées de nouvelles études et analyses sur tous les produits de traitement.

« Mille enquêtes scientifiques à charge »

L’argument va en laisser beaucoup sur leur faim. « Au regard de l’abondante littérature scientifique [sur les effets toxiques aigus des néonicotinoïdes], les décisions prises jusqu’à présent s’avèrent insuffisantes », écrivaient ainsi les députés socialistes Delphine Batho, Gérard Bapt et Jean-Paul Chanteguet, à la pointe du combat contre les néonicotinoïdes, dans une lettre de réponse adressée au ministre de l’agriculture, le 15 mars. « Il est largement démontré que mettre fin à l’usage de ces substances n’a pas d’effet sur le rendement des récoltes de céréales et d’olléagineux », assurent les trois parlementaires. « Nous sommes donc profondément convaincus qu’il existe aujourd’hui une convergence d’intérêt entre agriculteurs et apiculteurs, au regard de la menace que fait planer sur l’ensemble de l’agriculture l’effondrement des populations de pollinisateurs. »

« Les néonicotinoïdes sont arrivés en France en 1994. Depuis lors, environ 300 000 colonies d’abeilles domestiques périssent chaque année, dénonce Henri Clément, porte-parole et ancien président de l’Union nationale de l’apiculture française (l’Unaf). Aujourd’hui il y a plus de mille enquêtes scientifiques à charge contre eux. » Les apiculteurs visent particulièrement l’imidaclopride – « 7 297 fois plus toxique que le DDT » –, qui est en train de se diffuser largement dans l’environnement. Depuis 2013, cet insecticide est apparu parmi les quinze substances les plus détectées dans les cours d’eau en France, alors qu’il était au-delà du 50e rang cinq ans auparavant.

L’ONG, qui avait manifesté devant l’Assemblée nationale le 15 mars avec une quinzaine d’autres associations écologistes, a réagi en « saluant le travail des députés qui se sont investis sur le sujet ». Regrettant que les apiculteurs et leurs abeilles continuent à être victimes de ces produits jusqu’en 2018 « comme ils le sont depuis vingt ans », l’Unaf se dit « plus que jamais déterminée avant le passage du texte en deuxième lecture au Sénat ».
D’ici là, preuve que le sujet préoccupe les citoyens, plus de 650 000 personnes ont signé les cinq pétitions lancées par les ONG pour interdire les néonicotinoïdes et « mettre fin au massacre des abeilles ».

Source : Le Monde


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