Procès de Monsanto : « Porter atteinte à l’écosystème Terre, c’est menacer la paix, l’humanité »


Alors que la firme américaine est traduite devant un tribunal international citoyen, Valérie Cabanes, juriste et spécialiste des droits de l’homme et de la nature, défend l’inscription de l’écocide dans le droit international.

Valérie Cabanes est juriste en droit international, spécialiste des droits de l’homme et de la nature. Porte-parole du mouvement End Ecocide on Earth (« Arrêtons l’écocide planétaire »), elle vient de publier Un nouveau droit pour la terre (collection Anthropocène, Seuil). Elle est membre du comité d’organisation du Tribunal Monsanto, un procès symbolique organisé par un réseau d’ONG et d’associations contre l’entreprise agrochimique, qui se tiendra du 14 au 16 octobre à La Haye, aux Pays-Bas.

Qu’est-ce qu’un écocide, ce crime que vous voulez faire reconnaître en droit pénal ?

L’écocide, c’est le fait de porter atteinte durablement à des éléments vitaux sur terre, des communs planétaires comme les océans, l’atmosphère, les pôles, tous les écosystèmes qui ont une valeur supranationale. L’écocide s’entend quand on peut démontrer que détruire ces systèmes, dont dépend la vie sur Terre, menace la sûreté de la planète, son habitabilité. Porter atteinte à l’écosystème Terre, c’est menacer la paix, l’humanité, et nous voulons que cette atteinte soit reconnue comme un des crimes les plus graves qui soient.

Cette bataille n’est-elle pas déjà ancienne ?

Cela fait une cinquantaine d’années que l’on discute de l’écocide, un terme lancé en 1966 par le biologiste américain Arthur Galston, qui demandait que l’armée américaine n’utilise pas l’« agent orange », un herbicide, comme défoliant pendant la guerre du Vietnam. Le premier ministre suédois Olof Palme utilise cette expression d’écocide lors du Sommet de la Terre à Stockholm en 1972. Lors de la rédaction du statut de Rome, soit celui de la Cour pénale internationale (CPI), ll y a le projet d’inclure l’écocide dans l’article 26, celui des crimes les plus graves contre l’environnement, non seulement en temps de guerre mais aussi en temps de paix. Cette dernière notion disparaît sous la pression de certains Etats, dont la France, qui craignait que l’industrie nucléaire ne puisse en souffrir.

Aujourd’hui, qu’en est-il ?

Contre ce genre de crime, on doit pouvoir contourner la souveraineté nationale et la procureure de la Cour pénale internationale de La Haye [Fatou Bensouda] est d’ailleurs en permanence sollicitée à ce sujet. Sous la pression de différentes plaintes de la société civile, elle a annoncé le 15 septembre qu’elle élargissait le champ d’application des crimes contre l’humanité à des atteintes contre l’environnement. Il peut s’agir d’atteintes aux ressources naturelles dont dépendent les populations, ou d’accaparement de terres. Pour nous, c’est une avancée considérable. Il suffit qu’elle s’empare d’un seul cas, qu’un jugement soit rendu pour créer un cadre contraignant forçant les multinationales à respecter les droits de l’homme. Juger un cas reviendrait à lever une impunité de fait. Mais cela ne suffit pas à garantir la sûreté de la planète, ni le droit des générations futures à vivre dans un environnement sain.

Que faudrait-il pour aller plus loin ?

Nous demandons de pouvoir de saisir la justice au nom de la nature et de pouvoir porter plainte au nom des générations futures. Il y a déjà beaucoup de requêtes de ce type dans le monde. Les plaignants sont généralement déboutés, parce que le juge se dit incompétent. Mais ce n’est pas toujours le cas. En juin 2015, un juge néerlandais a été saisi par la fondation Urgenda et 886 citoyens qui dénonçaient la responsabilité de l’Etat néerlandais dans le non-respect des recommandations du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il a finalement sommé l’Etat de respecter ses engagements de réduction des gaz à effet de serre.

Cet exemple néerlandais est-il l’exception ?

C’est le courage des juges qui fait évoluer le droit. La jurisprudence représente une porte qui s’ouvre dans laquelle tout le monde peut ensuite s’engouffrer. Il y a d’autres exemples comme ce procès de Washington, en novembre 2015, durant lequel huit enfants ont attaqué l’Etat de Washington, au nom du droit à « disposer d’un environnement sain », visant au-delà l’industrie pétrolière et des énergies fossiles. On est typiquement sur cette notion de justice au nom des droits des générations à venir. Et ils ont obtenu gain de cause auprès de la justice américaine, qui a reconnu que l’Etat avait une obligation constitutionnelle de lutter contre les changements climatiques.

Le droit est-il plus important pour vous que la politique pour faire avancer les choses ?

Le droit a toujours un petit temps de retard, mais il montre le chemin, alors que le politique n’est plus force de propositions. Il est nécessaire de faire évoluer le droit face au contre-pouvoir de la puissance économique. Si on ne fait pas cette réforme, on en passera par la violence et le soulèvement des peuples de certains Etats. D’ici à un siècle, une personne sur sept sera réfugiée climatique, si on n’enraye pas le réchauffement en cours. Plutôt que de pousser à l’insurrection, je veux donc tenter la réforme du droit.

N’est-ce pas une forme d’écologie punitive qui pourrait être contre-productive ?

Il faut passer de la « soft law », d’un droit mou à quelque chose de plus efficace. Rendre ces droits plus contraignants n’est pas imposer une écologie punitive mais une écologie préventive. Dans le droit aujourd’hui, on évalue la gravité d’une catastrophe à la probabilité de sa survenue, avec moult statistiques. Ce n’est pas le pourcentage du risque qui importe, mais la gravité des conséquences, les perturbations du cycle de la vie, l’atteinte aux droits des générations futures. En partant de ce nouveau postulat, un juge peut alors imposer des mesures conservatoires, réorienter par exemple les investissements. C’est tout le sens de cette bataille pour faire progresser la conscience du risque et l’écocide dans le système judiciaire.

Source : Le Monde


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