Les humains du paléolithique avaient-ils pour habitude de se couper les doigts ?


Dans l’ancien art rupestre du monde entier, un motif particulier apparaît à maintes reprises : des empreintes de main, sur papier ou au pochoir, de personnes qui les ont visitées il y a longtemps. Et pourtant, dans certaines grottes décorées par les habitants paléolithiques de France et d’Espagne, quelque chose de curieux a été observé : un très grand nombre de ces mains semblent avoir des doigts manquants.

Depuis de nombreuses années, cette particularité fait l’objet d’un vif débat. Comment en sont-ils arrivés là ? Puisque nous, les humains, dépendons beaucoup de nos mains, il semble qu’il serait exceptionnellement imprudent que tant d’individus perdent autant de doigts accidentellement.

C’est pourquoi de nombreux archéologues ont conclu que les doigts manquants sont intentionnels. Mais il est plus difficile de déterminer comment et pourquoi. Certains affirment que les artistes ont simplement plié leurs doigts, ou peint sur des parties du pochoir. D’autres affirment que les habitants de ces régions se sont livrés à une pratique macabre : l’amputation de leurs propres doigts.

Cela peut paraître insensé au premier abord et une nouvelle étude vient d’ajouter sa voix au débat sur l’amputation.

Selon l’archéologue Mark Collard de l’université Simon Fraser au Canada :

“L’amputation des doigts était un comportement assez courant dans de nombreuses régions dans un passé récent.”

“Les données disponibles semblent correspondre assez bien à l’hypothèse selon laquelle certaines personnes du Paléolithique supérieur se seraient fait amputer undoigt pour un sacrifice religieux.”

Pour tirer ses conclusions, l’équipe de recherche s’appuie sur plusieurs sources de données. La première est le nombre de cas recensé sur une poignée de sites (des exemples isolés peuvent être trouvés à d’autres endroits). Dans la Grotte de Gargas dans les Hautes-Pyrénées, en France, 231 pochoirs de main ont été découverts, réalisés par environ 45 à 50 individus. De ce nombre, il manque un ou plusieurs doigts à 114 d’entre eux. Dans la grotte Cosquer, également en France, 28 des 49 mains ont des doigts manquants. Et dans la grotte de Maltravieso, dans l’ouest de l’Espagne, 61 des 71 images de main ont des doigts manquants.

humains du paléolithique

A partir de l’étude : dessins de mains du Paléolithique supérieur sur des draperies de calcite dans la grotte de Cosquer (Calanque de Morgiou, France). (Jean Clottes/ McCauley et coll./Journal of Paleolithic Archaeology)

Il y a aussi des preuves suggérant qu’il y avait des personnes qui n’avaient plus tous leurs doigts et qui produisaient de l’art. Dans la grotte de Gargas, l’archéologue C. Barrière a rapporté en 1976 que des empreintes de membres humains ont été trouvés dans de la boue durcie, dont certains sont nettement dépourvus de doigts. On pense que ces empreintes datent de la même période que les pochoirs à main.

Il est probable que certaines personnes du Paléolithique supérieur aient perdu accidentellement des doigts ou des parties de doigts, soit à cause de gelures, ou par d’autres formes de traumatisme. Mais beaucoup de pochoirs semblent avoir plusieurs doigts manquants : deux, trois ou même quatre dans certains cas. Et c’est là que l’équipe pose une autre limite. Ils ont fait des recherches dans l’Human Relation Area Files, une base de données d’ethnographies humaines mondiales et ils y ont trouvé 121 sociétés récentes dans le monde, en Afrique, en Eurasie, en Océanie et en Amérique, qui pratiquent l’amputation rituelle des doigts, montrant que c’est une pratique réelle et répandue encore de nos jours (bien que la pratique soit en train de disparaître).

Selon Collard :

“J’étais plutôt choqué. C’est une pratique tellement débilitante que je n’imaginais pas pouvoir m’y inscrire moi-même. Je ne peux toujours pas. Pourtant, nous avons continué à trouver, groupe après groupe, qui l’a fait.”

Les raisons en sont diverses. Dans certaines cultures, elle était pratiquée comme l’expression extrême d’un deuil, à la suite de la perte d’un être cher. D’autres l’utilisaient pour s’identifier, comme les femmes pêcheuses de certains groupes aborigènes australiens. Il pourrait aussi être utilisé pour marquer le mariage, ou comme une forme de punition. Ou bien il s’agit d’une forme de sacrifice rituel ce qui, selon les chercheurs, est probablement la raison la plus probable pour laquelle les humains du Paléolithique supérieur auraient pu se couper les doigts et les offrir à une divinité ou à un pouvoir surnaturel.

Cela pourrait nous en dire long sur la dynamique de groupe, puisqu’il a été démontré que les rituels religieux traumatisants renforcent les liens interpersonnels. Mais tout le monde n’est pas convaincu, car les cas qu’ils citent ne correspondent pas au modèle distinctif observé dans les pochoirs de la période glaciaire, à savoir un raccourcissement séquentiel des cinquième, quatrième et troisième doigts, le pouce épargné. Cela correspond exactement aux effets des engelures, le pouce n’étant pas affecté.

Et d’autres archéologues estiment qu’une mutilation délibérée de cette nature équivaudrait à un suicide, de sorte que l’amélioration des relations interpersonnelles n’en vaudrait pas le coût. Ils suggèrent que les doigts étaient courbés ou peints comme une forme de communication symbolique.

Mais l’équipe de recherche ne prétend pas non plus que l’amputation est vraiment ce qui s’est produit, leur étude est l’exploration d’une possibilité, et non une réponse définitive. En fait, il est possible que nous n’obtenions jamais de réponse définitive.

Selon les chercheurs :

“Bien que les arguments en faveur de l’hypothèse de l’amputation ne soient pas irréfutables, nous sommes d’avis qu’elle soit suffisamment solide pour justifier qu’on la traite comme si elle était correcte aux fins d’une enquête plus poussée, et c’est ce que nous avons fait dans l’étude dont il est question ici.”

L’étude publiée dans Journal of Paleolithic Archaeology : A Cross-cultural Perspective on Upper Palaeolithic Hand Images with Missing Phalanges.

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Source : GuruMeditation


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