Loi Renseignement : la liste impressionnante des services autorisés à surveiller


Un important décret de 17 pages a été publié ce week-end au Journal officiel. Il met en application la loi sur le renseignement en ouvrant les capacités de surveillance administrative à une impressionnante liste de personnes. Tour d’horizon.

La loi du 24 juillet 2015 pose un principe simple : seuls les services spécialisés du renseignement peuvent utiliser les outils de surveillance (mouchards informatiques, balises, boites noires, sondes, micro, caméra, etc.). Quels sont ces services ? Cette définition a été renvoyée à un décret, donc un texte du gouvernement, déjà publié fin septembre.

Il s’agit de :

  • La direction générale de la sécurité extérieure,
  • La direction de la protection et de la sécurité de la défense,
  • La direction du renseignement militaire,
  • La direction générale de la sécurité intérieure,
  • La direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières
  • Le service « traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins »
  • Des services autres que les services spécialisés définis par décret

    Seulement, ce principe n’est pas figé. La loi a également prévu qu’un autre décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de technique de renseignement, « désigne les services, autres que les services spécialisés de renseignement, relevant des ministres de la Défense et de l’Intérieur ainsi que des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes, qui peuvent être autorisés à recourir aux techniques ». En clair, la loi a prévu que d’autres services que ceux précités pourront également s’immiscer dans la vie privée, notamment numérique, des personnes physiques et morales.

    Pour la petite histoire, cette mécanique décrétale avait été contestée par Hervé Morin et d’autres députés UDI qui voulaient que la loi dresse directement la liste de ces services « bis ». Dans un amendement, ils proposaient que six services soient ainsi qualifiés, précisant que « s’il s’avère que d’autres services ont ponctuellement besoin d’avoir recours à ces techniques, ils pourront faire appel aux services de renseignement, qui jugeront du bien-fondé de leur demande. »

    Le rapporteur et père du texte, Jean-Jacques Urvoas (PS) avait opposé une fin de non-recevoir avec un argument imparable : « si le Gouvernement devait demain changer leur dénomination, on serait obligé de modifier la loi ». Argument partagé par Bernard Cazeneuve : « J’ai exactement la même position que le rapporteur, pour les raisons qu’il vient d’évoquer : si chaque fois que, dans l’exercice de ses prérogatives, le Gouvernement modifie le nom d’un service ou l’organisation des services, il faut procéder à une modification législative pour permettre à ces services de fonctionner conformément au droit, je ne suis pas sûr que l’on y gagne en souplesse, en efficacité et encore moins en transparence et en lisibilité ». Le ministre de l’Intérieur ajoutait que « nous avons décidé, précisément par souci de transparence, de prendre, par un décret qui sera publié, des dispositions qui constituent un incontestable progrès par rapport à l’état du droit antérieur. »

    Bref, l’amendement UDI était repoussé.

    Cette fameuse désignation transparente a eu lieu samedi au Journal officiel. Avant de plonger plus en détail sur ce décret, on remarquera deux points : d’une part, la transparence chantée par le ministre connait ses limites puisque l’avis de la CNCTR, visé au Journal officiel, n’a pas été publié. Nous allons en conséquence effectuer une demande CADA pour en obtenir communication. D’autre part, l’argument du changement de nom cache une autre réalité : six services avaient été choisis par les députés UDI. Dans le décret de ce week-end, on en décompte pour l’instant 24, qui s’ajoutent donc aux 6 services spécialisés désignés fin septembre, soit 30 au total.

    Les outils de surveillance de ces 24 services non spécialisés varient en fonction des finalités poursuivies : à titre de rappel, mentionnons la géolocalisation L851-4, les sondes L851-1 les balises L851-5, l’IMSI catcher et assimilés L.851-6, les interceptions de sécurité L. 852-1 (I), les interceptions de sécurité via IMSI catcher L. 852-1 (II), les micro et caméra espionsL853-1, les mouchards informatiques L853-2 (les boites noires, visant à rechercher une menace terroriste ne sont pas concernées par ce texte). Reprenons maintenant ces finalités, l’une après l’autre, pour en détailler la ventilation.

    L’indépendance nationale l’intégrité du territoire et la défense nationale

    • Les Services du renseignement territorial
    • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
    • La sous-direction de la police judiciaire
    • Les sections de recherches de la gendarmerie nationale
    • La sous-direction de la sécurité intérieure
    • La sous-direction du renseignement territorial
    • Les sections de recherches de la gendarmerie maritime de la gendarmerie de l’air et de la gendarmerie de l’armement
    • L’unité nationale et les unités territoriales de recherche et d’appui des services du renseignement territorial

    Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère

    • Aucun service non spécialisé désigné dans le décret

    Les intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France

    • Aucun service non spécialisé désigné dans le décret

    La prévention du terrorisme

    • L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)
    • La sous-direction antiterroriste
    • La Sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité
    • Les Directions interrégionales et régionales de police judiciaire
    • Les services du renseignement territorial
    • Les Services régionaux de police judiciaire et les antennes de police judiciaire
    • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
    • La sous-direction de la police judiciaire
    • Les sections de recherches de la gendarmerie nationale
    • La sous-direction de la sécurité intérieure
    • La sous-direction du renseignement territorial géolocalisation
    • La sous-direction des brigades centrales
    • La sous-direction des services territoriaux
    • Les sections de recherches de la gendarmerie maritime de la gendarmerie de l’air et de la gendarmerie de l’armement

    La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions

    • L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)
    • Les Services du renseignement territorial
    • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
    • La sous-direction de la sécurité intérieure
    • La sous-direction du renseignement territorial

    Actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous

    • L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)
    • Les services du renseignement territorial
    • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
    • La sous-direction de la sécurité intérieure
    • La sous-direction du renseignement territorial

    Prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique

    • Les services du renseignement territorial
    • La sous-direction de l’anticipation opérationnelle
    • La sous-direction de la sécurité intérieure
    • La sous-direction du renseignement territorial

    La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées

    • Le service central des courses et jeux
    • La sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière
    • La Sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité
    • Les Directions interrégionales et régionales de police judiciaire
    • Les unités en charge de la police judiciaire au sein des directions déconcentrées de la police aux frontières et des directions de la police aux frontières d’Orly et de Roissy
    • Les Brigades mobiles de recherche zonales
    • L’office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre de la direction centrale de la police aux frontières
    • L’unité judiciaire du service national de la police ferroviaire
    • La sous-direction de la sécurité intérieure
    • Les sûretés départementales
    • La sous-direction de la police judiciaire
    • Les sections de recherches de la gendarmerie nationale
    • La sous-direction du renseignement territorial
    • La sous-direction des brigades centrales
    • La sous-direction des affaires économiques et financières
    • La sous-direction des services territoriaux
    • les sections de recherches de la gendarmerie maritime de la gendarmerie de l’air et de la gendarmerie de l’armement

    La prévention de la prolifération des armes de destruction massive

    • Aucun service non spécialisé désigné dans le décret

    Dernier détail : le décret n° 2015-1639 du 11 décembre 2015 ne concerne que les services relevant des ministres de la défense et de l’intérieur. Un autre décret devrait donc définir les autres services (non spécialisés) relevant cette fois des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes pour complèter cette liste, déjà impressionnante. On devrait donc dépasser largement les 30 services pouvant sniffer de la donnée de connexion tout en procédant parfois à des interceptions de sécurité…

Source : Next INpact par Marc Rees – Crédit image : maxkabakov/iStock


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