Mélodieux ou traumatisant : est-ce l’instrument de musique le plus dangereux jamais fabriqué ?


Créé par Benjamin Franklin, l’armonica de verre produit des notes célestes qui suscitaient autrefois des craintes de folie.

L’armonica de verre : 37 bols de verre d’intrigue musicale. Crédit photo : Ji-Elle via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

Même si vous ne reconnaissez pas ce drôle d’engin, il y a de fortes chances que vous ayez entendu le son qu’il produit. En effet, il s’agit d’un instrument de musique, inventé par Benjamin Franklin, et inspiré par quelque chose que vous avez certainement essayé après quelques verres à Noël.

Benjamin Franklin, l’un des sept pères fondateurs des États-Unis, est toujours immortalisé sur le billet de 100 dollars. Il était réputé pour ses nombreuses inventions : le poêle Franklin, la sonde urinaire et le paratonnerre, pour n’en citer que quelques-unes. Franklin était également un musicien accompli. Il n’est donc pas surprenant que son imagination se soit enflammée lorsqu’il a assisté à un concert en 1761 et qu’il a entendu un son étrange qui l’a inspiré à inventer l’une de ses créations les plus séduisantes à ce jour. Il l’appela l’armonica de verre.

Étant donné que les sections de percussion peuvent contenir de tout, des casseroles aux enclumes, un instrument composé de 37 bols en verre n’est peut-être pas si surprenant. Crédit photo : Fredamas via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)

Vous avez déjà frotté votre doigt sur le bord d’un verre à vin pour le faire chanter ? Félicitations, vous avez maîtrisé l’hydrodaktulopsychicharmonica ! Bien entendu, cette méthode de création musicale ne se limite pas aux moments de conversation autour de la table.

Lorsque Franklin a vu un musicien d’orchestre jouer avec des verres à vin accordés à l’eau lors du concert de 1761, il s’est sans doute dit : “Je peux faire mieux que ça”. Il augmenta la taille de l’ensemble à 37 bols en verre codés par couleur et les équipa d’un mécanisme rotatif que le musicien pouvait actionner à l’aide d’une pédale. Ce mécanisme était plus facile à manipuler et permettait au musicien de produire jusqu’à 10 notes à la fois. C’est ainsi qu’est né l’armonica de verre.

On pourrait croire qu’il s’agit d’un accessoire issu d’un film steampunk, et on pourrait se demander si les compositeurs font souvent appel aux sonorités douces du verre chantant, mais c’est plus courant qu’on ne le croit. Prenons l’exemple du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns. Dans le septième mouvement, le compositeur a fait appel à l’armonica de verre pour évoquer un sentiment mystique et aquatique.

Mozart en était également un adepte, et Marie-Antoinette elle-même aurait été un peu douée pour l’armonica. Et ce n’est pas seulement dans la musique classique que l’invention de Franklin a trouvé sa place. On peut entendre ses sonorités éthérées dans la musique de Tom Waits, David Gilmour et Björk, entre autres.

Mais attention : la musique de l’armonica de verre a un côté sombre qui a conduit certains à l’appeler “l’instrument le plus dangereux du monde”.

Au XVIIIe siècle, l’armonica de verre est tombé en disgrâce parce qu’on craignait qu’il ait le pouvoir de rendre l’auditeur fou. À l’époque, le musicologue allemand Friedrich Rochlitz conseillait vivement d’éviter d’en jouer : “L’armonica stimule excessivement les nerfs, plonge le musicien dans une dépression lancinante et, par conséquent, dans une humeur sombre et mélancolique, méthode propice à un lent anéantissement de soi.” Cela ne sonne pas très bien, mais y a-t-il du vrai là-dedans ?

Il est vrai que l’un des premiers partisans de l’armonica de verre était Franz Anton Mesmer, dont la pratique éponyme du mesmérisme est considérée comme le précurseur de l’hypnotisme moderne. Mesmer a utilisé la qualité étrange de la musique de l’armonica comme toile de fond de ses spectacles de mesmérisme, ce qui lui a valu des critiques virulentes.

Une enquête menée en 1784 par quelques-uns des plus grands scientifiques français – dont Franklin lui-même, aujourd’hui en exil dans le pays – a conclu que Mesmer était un charlatan et que la musique qu’il utilisait n’avait servi qu’à l’aider à créer une atmosphère qui amenait les gens à croire que ses techniques leur étaient bénéfiques, alors que – aux yeux de l’enquête, en tout cas – ce n’était pas le cas.

Cependant, entrer dans un état d’hypnose temporaire n’est pas la même chose que la “lente auto-annihilation” de Rochlitz, n’est-ce pas ? Que s’est-il passé pour que l’armonica de verre effraie autant les gens ?

Les musicologues modernes pensent qu’il existe une explication au fait que les sons de l’armonica de verre peuvent avoir un effet désorientant. L’instrument produit des sons à des fréquences comprises entre 1 000 et 4 000 Hertz environ. À ces fréquences, le cerveau humain a du mal à déterminer la provenance du son. Cela pourrait expliquer pourquoi, pour certaines personnes au moins, l’écoute de cette musique peut être une expérience déconcertante.

Cependant, il a été suggéré qu’il existe une raison beaucoup plus banale pour laquelle les gens ont cessé de jouer de l’armonica de verre pendant un certain temps. L’interprétation musicale évoluait, les concerts publics ayant lieu dans des salles plus grandes, et le problème de l’amplification se posait. Comme l’a expliqué l’artiste William Zeitler à Atlas Obscura, il est possible de modifier un piano pour le rendre plus bruyant, ce qui n’est pas si facile avec un instrument fait de délicats bols de verre.

Entendre les sons d’un armonica de verre n’est probablement pas le précurseur d’une psychose. Mais il est peut-être révélateur que Donizetti ait choisi cet instrument pour orchestrer l’accompagnement de la “scène de la folie” dans son opéra Lucia di Lammermoor. L’effet peut être temporaire, mais sa musique a toujours le pouvoir de faire voyager l’auditeur dans un autre monde.

Lire aussi : Écoutez le son de cet instrument vieux de 18 000 ans

Source : IFLScience – Traduit par Anguille sous roche


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