Quand des centrales solaires contribuent à déboiser le sud de la France


Raser des forêts pour y installer des parcs photovoltaïques, c’est un des paradoxes de la transition énergétique à l’œuvre.

Enquête dans les départements ruraux du sud de la France, dont les terres boisées sont ciblées par des industriels.

À Réauville, petite commune de la Drôme, « on s’est réveillés un matin de 2016, les engins de déboisement étaient déjà là ». Une enquête publique a bien eu lieu et des avis – que personne ne lit – ont été placardés sur le panneau d’affichage de la mairie. La procédure a ainsi été respectée dans l’indifférence générale. Résultat, dix hectares de forêt volatilisés. Le maire de l’époque invoque la nécessité de trouver des revenus face à la baisse de la dotation générale de fonctionnement aux communes [1]. Pour la mairie, les 40 000 euros de location annuelle proposés, pendant 40 ans, par la société Solaire Direct, rachetée en 2015 par Engie, sont évidemment bienvenus.

L’exemple de Réauville n’est pas isolé dans la Drôme. En 2018, un parc d’une dizaine d’hectares est inauguré à Salles-sous-Bois, petite commune rurale d’à peine 200 habitants. L’année suivante, c’est au tour de Chantemerle-les-Grignan d’être ciblée. Mais là, le projet est vraiment désastreux sur le plan écologique : il s’agit d’une zone boisée de huit hectares, éloignée des routes d’accès et d’un poste-source auquel raccorder la future installation. Devant la levée de boucliers suscitée par le déboisement, le maire renonce. Avertis par l’expérience, des collectifs de citoyens s’organisent désormais pour résister.

Plutôt des centrales photovoltaïques villageoises que des centrales solaires qui rasent les forêts

À Grignan, l’un des « plus beaux villages de France », un projet de parc photovoltaïque de huit hectares est dans les tuyaux depuis dix ans. La location des terres a été négociée entre l’opérateur Neoen et la commune à hauteur de 120 000 euros par an pendant 30 ans. Les citoyens s’en mêlent et s’opposent au maire, et ancien ministre sous Mitterrand, Bruno Durieux, pour qui « l’écologisme est une idéologie de combat dressée contre l’économie de marché » [2]. L’association de protection de l’environnement du Pays de Grignan-Enclave des Papes (APEG) mène le combat, bientôt rejointe par les chasseurs, puis les agriculteurs. Face à la contestation, le maire décide d’organiser un référendum le 20 septembre dernier. Le projet est adopté à neuf voix près (43,2 % de participation). Interrogé sur la validité d’un scrutin aussi serré, le maire explique que, s’ils avaient voté, les abstentionnistes l’auraient sans aucun doute confirmé…

« Nous voulons mettre un coup d’arrêt à ce type d’opérations. Dans un rayon de cinq à six kilomètres autour de Grignan, il y a déjà cinq centrales installées dans les mêmes conditions. C’est plus facile de couper des bois que d’installer des parcs photovoltaïques sur des parkings, dans des zones déjà artificialisées, sur des toitures, n’importe où, sauf dans des bois », déclare Jean Luchet, président de l’APEG [3]. Il propose aujourd’hui de constituer une centrale villageoise à l’image de ce qui a été fait sur le territoire de la communauté de communes de Dieulefit-Bourdeaux, avec déjà 1200 m2 de toitures équipées de panneaux solaires, pour une production de 263 mégawatts/heure (MWh) par an au bénéfice de 224 résidents. C’est peu, certes, en comparaison des rendements obtenus par les opérateurs industriels, mais l’intérêt des centrales villageoises est aussi d’éveiller les habitants à leur consommation énergétique en proposant aux collectivités des contrats d’énergie participatifs.

Consolidées en réseau au fil des années, les premières centrales villageoises ont émergé en 2010, principalement dans la vallée du Rhône, en Alsace et en Bretagne. Qu’elles soient organisées en Scop (société coopérative et participative), Scic (société coopérative d’intérêt collectif) ou associations, les 26 centrales actuelles couvrent une quarantaine de territoires et développent des sites de production d’électricité de petites dimensions, dans le respect du patrimoine bâti et paysager.

« Petite forêt sans valeur »

Dans la région Sud, 24 000 hectares pourraient être dédiés aux installations photovoltaïques – soit en moyenne 25 hectares par commune sur les quelques 800 communes de la région [4]. Les départements du littoral étant déjà fortement urbanisés, ce sont surtout les départements de l’arrière-pays, Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes, qui sont ciblés par les opérateurs industriels.

À la Roche-des-Arnauds, près de Gap, l’entreprise Valorem est venue rencontrer le maire Maurice Chautant pour lui proposer de construire un parc photovoltaïque de sept hectares contre un revenu annuel compris entre 4000 et 5000 euros l’hectare pendant 30 ans. Le site choisi, une « petite forêt sans valeur », selon le maire, est en fait un peuplement naturel installé sur un cône de déjection du Rif de l’Arc, un espace qui présente un risque élevé d’inondation en cas de crue centenaire. La forêt des Sérigons est d’ailleurs l’objet d’un plan de prévention des risques (zone rouge). Autre argument opposable au titre de la loi Montagne, la parcelle concernée étant située en discontinuité de l’urbanisation, elle ne devrait pas être constructible. Qu’à cela ne tienne, la mairie a tout de même engagé la révision de son plan local d’urbanisme et, pour contourner ces obstacles, négocié avec l’opérateur un aménagement visant à surélever les panneaux solaires.

« Un parc photovoltaïque construit en contradiction avec les lois en vigueur »

« C’est seulement en décembre 2019, quand tout était déjà bouclé, qu’on a appris que le parc allait se construire, car lorsque le projet a été présenté en conseil municipal le compte rendu n’en a retenu qu’une ou deux lignes », raconte Christian Combrichon, membre du collectif de la forêt des Sérigons. Il s’insurge : « On ne peut pas accepter qu’un parc photovoltaïque soit construit en contradiction avec les lois et règles en vigueur et au détriment des espaces forestiers, à plus forte raison quand ce sont des réserves naturelles et des corridors écologiques. »

Alors, la résistance s’organise : flyers déposés dans les boîtes aux lettres, alertes lancées auprès de la Société alpine de protection de la nature et de France nature environnement, pétition en ligne, rencontre avec le maire. Aujourd’hui, le collectif demande un moratoire sur le projet et travaille à une solution alternative. Deux espaces publics ont été repérés qui pourraient accueillir des panneaux solaires sur cinq hectares. « Notre démarche est de nous approprier le développement des énergies renouvelables dans notre village. Nous ne sommes pas des irréductibles anti-photovoltaïque, mais conscients de notre responsabilité de citoyens. » Trois centrales villageoises existent déjà dans ce département des Hautes-Alpes.

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