Les États-Unis auraient demandé à l’agence d’espionnage britannique d’empêcher The Guardian de publier les révélations de Snowden


Selon un nouveau livre.

Un nouveau livre, intitulé “The Secret History of Five Eyes”, qui doit paraître ce jeudi affirme que les États-Unis ont tenté d’empêcher le journal britannique The Guardian de publier en 2013 les révélations de l’ex-contractant de la NSA, Edward Snowden, sur la collecte massive de données secrètes. Le livre affirme que les Américains ont téléphoné au chef du Quartier général des communications du gouvernement britannique (GCHQ) le matin même de la publication des documents et a demandé à l’agence de faire pression sur le journal pour qu’il abandonne son initiative. Mais l’agence a refusé de servir d’organe de censure.

Le 6 juin 2013, le monde entier découvrait avec stupéfaction les détails de vastes programmes de surveillance des alliés par les États-Unis. Snowden a révélé au grand jour les efforts considérables déployés par la NSA pour suivre les appels téléphoniques et surveiller le courrier électronique et le trafic Internet de pratiquement tous les Américains, mais également des alliés et partenaires du G20. À l’époque, l’ex-contractant de la NSA a laissé entendre qu’il avait accès aux listes complètes de toutes les personnes travaillant à l’agence de renseignement, à l’ensemble de la communauté du renseignement et aux agents infiltrés dans le monde entier.

À ce jour, de nombreux détails restent encore flous dans cette affaire, mais de nouvelles informations sont récemment apparues dans le nouveau livre du réalisateur et journaliste d’investigation Richard Kerbaj, “The Secret History of Five Eyes”. Le livre raconte l’histoire inédite du réseau d’espionnage international, à travers ses cibles, ses traîtres et ses espions. On y apprend que la NSA a tenté désespérément d’empêcher la publication du Guardian de ce 6 juin 2013 sur les révélations de Snowden. La NSA aurait appelé tard dans la nuit Sir Iain Lobban, le chef du GCHQ, pour lui demander de faire pression sur le journal pour empêcher la publication.

Mais cette initiative n’a pas abouti. Lobban aurait refusé de céder aux pressions américaines visant à utiliser son agence pour censurer la presse, quels que soient les dommages potentiels qu’elle pourrait causer et les vies qu’elle pourrait mettre en danger. Le livre rapport que bien que le GCHQ ait été cité comme ayant participé aux programmes de surveillance, Lobban a pensé que faire pression sur un journal pour empêcher la publication d’un article afin de sauver la mise à la NSA était l’erreur de trop à ne pas commettre. « Ce n’était ni l’objectif de son agence ni le sien de s’occuper des relations publiques de la NSA », écrit Kerbaj.

Le livre indique que cet appel téléphonique aux premières heures du 6 juin 2013 est le premier d’une série d’éléments qui allait mettre à mal les relations entre les partenaires des Five Eyes (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et États-Unis). Cependant, des pressions ont manifestement été exercées à d’autres niveaux du gouvernement, puisque le Premier ministre britannique de l’époque, David Cameron, a menacé en octobre 2013 d’étouffer l’histoire par des injonctions ou d’autres “mesures plus sévères” pour empêcher toute nouvelle publication des révélations de Snowden sur les activités de la NSA et du GCHQ.

Parmi les révélations retentissantes de Snowden, on trouve les affirmations selon lesquelles les agences de renseignement américaines et britanniques ont réussi à déjouer une grande partie du chiffrement en ligne sur lequel des millions de personnes comptent pour protéger leurs données personnelles et leurs communications. Le livre a également révélé d’autres moments de tension entre les alliés, comme lorsque le général Keith Alexander, homologue de Lobban à la tête de la NSA, n’a même pas informé les Britanniques que Snowden était la source des articles du Guardian. Le GCHQ l’a appris au même moment que le grand public.

En effet, Lobban, qui avait lancé une chasse à la taupe au sein de sa propre organisation ne l’a appris qu’après que Snowden est l’auteur des fuites lors d’une interview publique au Guardian. « C’était un rappel effrayant de l’importance que l’on a, ou que l’on n’a pas », aurait déclaré un initié du renseignement britannique dans le livre de Kerbaj. Les trois autres membres des Five Eyes ont également été exposés par les fuites et incriminés dans l’espionnage d’alliés tels que la chancelière allemande de l’époque, Angela Merkel. Le reste du groupe s’est indigné qu’un contractant tel que Snowden puisse avoir accès à leurs secrets embarrassants.

Avant les révélations, Snowden travaillait comme administrateur de systèmes informatiques. Les quatre autres ont également appris qu’en raison de l’externalisation du gouvernement américain, 1,5 million d’Américains disposaient d’une habilitation de sécurité de haut niveau comme Snowden. Dans une interview lors de son départ à la retraite en 2014, Lobban a déclaré qu’il n’y aurait jamais une version britannique d’Edward Snowden, car le GCHQ traite les contractants “comme s’ils étaient de simples personnes”. Le livre rappelle également que seuls les Britanniques avaient osé critiquer à l’été 2013 la façon dont la NSA fonctionnait.

Mais la dynamique du pouvoir entre les cinq pays était claire, car ils craignaient tous d’être coupés du flux vital de financement et de renseignements de la NSA. Une fois de plus, le livre révèle que Sir Kim Darroch, ancien conseiller à la sécurité nationale du Royaume-Uni, a déclaré : « les États-Unis nous donnent plus que nous ne leur donnons, alors nous devons simplement faire avec ». Bien que la Russie ait accordé à Snowden le statut de résident permanent depuis 2020, les États-Unis cherchent toujours le moyen de le rapatrier afin qu’il soit jugé pour espionnage, vol et utilisation illégale de biens gouvernementaux.

Rappelons que le 2 septembre 2020, la cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit (la plus importante cour d’appel fédérale du pays) a estimé que les agissements de la NSA allaient à l’encontre du “Foreign Intelligence Surveillance Act” de 1978 et pourrait avoir été inconstitutionnelle. L’annonce du verdict a été immédiatement Snowden. « Je n’aurais jamais imaginé que je vivrais assez longtemps pour voir nos tribunaux condamner les activités de la NSA comme étant illégales et dans le même jugement me créditer pour les avoir exposées. Et pourtant, ce jour est arrivé », a-t-il écrit le sur Twitter.

Pourtant, jusqu’à ce moment, les hauts responsables du renseignement ont publiquement insisté sur le fait que la NSA ne collectait jamais sciemment d’informations sur les Américains. Après la révélation du programme, les responsables américains se sont repliés sur l’argument selon lequel l’espionnage avait joué un rôle crucial dans la lutte contre l’extrémisme domestique, citant en particulier le cas de quatre résidents de San Diego qui étaient accusés de fournir une aide à des fanatiques religieux en Somalie. Le programme de collecte de métadonnées en masse de la NSA aurait été interrompu en 2015.

L’on ignore combien d’années de prison il risque, contrairement à Julian Assange qui encourait une peine allant jusqu’à 175 ans. Depuis son exil toutefois, Snowden continue ses dénonciations et ses provocations envers le gouvernement américain. En avril 2020, il a averti que les États utilisent le coronavirus pour construire « l’architecture de l’oppression » et a prédit que les mesures prises pour lutter contre la pandémie Covid-19 vont persister longtemps. Un an auparavant, il déclarait que cela serait une erreur de considérer la NSA comme étant la plus grande menace à la vie privée. Selon lui, ce titre revient aux grandes entreprises technologiques.

« L’objectif interne de Facebook, qu’il le déclare publiquement ou non, est de compiler des archives parfaites de la vie privée dans toute la mesure de ses possibilités, puis de les exploiter pour son propre enrichissement, et ce, sans tenir compte des conséquences. C’est en fait exactement la même chose que ce que fait la NSA. Google a un modèle très similaire », a déclaré Snowden dans une interview en 2019. Il a tout de même reconnu que ces entreprises n’en savent toujours pas autant que le gouvernement, qui peut collecter des informations à partir de toutes les nombreuses plateformes technologiques.

Il s’est également rebellé contre les tentatives répétées des gouvernements, notamment des agences nationales de renseignement, pour saper le chiffrement sur Internet. Les gouvernements font pression sur les géants de la technologie comme Facebook et Apple pour qu’ils accordent aux autorités l’accès aux messages chiffrés, mais les entreprises font valoir que le chiffrement est nécessaire pour garantir la vie privée des utilisateurs. Snowden est de cet avis et a prévenu que l’affaiblissement du chiffrement en ligne aurait “des conséquences désastreuses” et pourrait causer la mort de nombreuses personnes.

Il pense que cela pourrait déclencher une traque sans précédent d’une plus grande ampleur que ce qui a été observé en Afghanistan après la reprise du pouvoir par les talibans. « La vie privée, c’est le pouvoir. Si vous affaiblissez le chiffrement, des gens vont mourir. Rien que cette année, après la chute du gouvernement afghan, nous avons vu à quel point le chiffrement est crucial pour assurer la sécurité des gens ordinaires », a déclaré Snowden, lors d’une interview en 2020.

Cependant, les gouvernements prétendent que le chiffrement entrave la lutte contre le terrorisme et la pédopornographie, de rechercher le matériel sur les abus sexuels sur les enfants (Child Sexual Abuse Material – CSAM), etc. Et force est de constater que les projets de loi visant à saper le chiffrement se multiplient en Europe, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, ce qui ne présage rien de bon. En France, le président Emmanuel Macron a également dit qu’il ne souhaitait plus d’anonymat en ligne.

Lire aussi : « Dangereux pour nous tous » : Snowden alerte sur le précédent que pourrait créer l’affaire Assange

Sources : DeveloppezThe Guardian


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