Perte de revenus, déficit commercial… Le bilan des 20 ans de l’euro par Jacques Sapir


Dans sa chronique éco, Jacques Sapir est revenu sur le 20e anniversaire de l’euro, introduit en janvier 2002, et ses conséquences sur l’économie, y compris sur la perte de revenus des Français ou encore sa compétitivité face au dollar américain.

Revenant sur le 20e anniversaire de l’introduction de l’euro, Jacques Sapir a abordé les diverses conséquences de la monnaie unique dans les économies européennes. Toujours opposé à l’euro, l’économiste a reconnu la résistance de la monnaie à travers les différentes crises des deux dernières décennies, comme celle des subprimes en 2008 ou celle du Covid-19.

« Il faut quand même savoir que l’euro est la seule institution réellement fédérale dans l’Union européenne », souligne-t-il d’emblée. Des pays membres de l’UE n’ont toutefois pas intégré la zone Euro : c’est le cas de la Suède, la Pologne, ou la Roumanie.

A noter également que Jacques Sapir ne considère pas que l’inflation soit imputable à la monnaie unique. « C’est une mauvaise critique qui est portée à l’euro » estime-t-il en évoquant les chiffres de l’INSEE qui démontrent qu’il n’y a pas eu « d’effet d’inflation provoqué par l’euro, que ce soit par exemple sur le revenu disponible ou que ce soit sur ce qu’on appelle plus spécifiquement le revenu arbitral [la différence entre le revenu et les dépenses contraintes] ». La hausse des prix entre 2000 et 2020 a ainsi été moins forte qu’entre 1980 et 2000, selon les chiffres de l’INSEE cités par l’économiste, qui prévient cependant que « ce ne sont que des moyennes ».

« Les 20% avec le revenu le plus faible ne subissent pas la même inflation, ils subissent une inflation bien supérieure à ceux qui gagnent le plus d’argent », souligne l’économiste. Cela peut s’expliquer par la façon de consommer : les catégories aux revenus les plus faibles consomment avant tout des produits alimentaires et des biens de première nécessité tandis que les plus riches consomment des biens manufacturés, en particulier électroniques, dont le prix a fortement baissé, d’après l’analyse de Jacques Sapir. « Le ressenti de l’inflation n’est pas le même suivant les catégories sociales de la population auxquelles on s’adresse », conclut-il à ce sujet.

Une balance commerciale déficitaire depuis l’introduction de l’euro

L’euro n’a pas été pour autant « indolore » selon lui. Les chiffres du commerce extérieur démontrent en effet un déficit de la balance commerciale française coïncidant avec l’entrée de l’euro en 2002 alors qu’elle était équilibrée depuis 1995 selon les chiffres de l’INSEE. « L’euro aboutit à une situation où certains pays se voient surévalués – c’est le cas de la France mais aussi de l’Italie, de l’Espagne – et d’autres se voient globalement sous-évalués et même parfois très massivement sous-évalués », affirme ainsi Jacques Sapir.

Selon lui, l’une des raisons est due au blocage des parités de change au niveau de ce qu’elles étaient en 1999, « or les taux d’inflation ont continué d’évoluer », relève-t-il. La France a ainsi une économie surévaluée de 10 à 15% selon les chiffres du FMI pour la période 2018-2019, tandis que l’Allemagne bénéficie d’une sous-évaluation d’environ 15% sur la même période. « Il y a donc un écart d’environ 25% entre la France et l’Allemagne et c’est ce qui explique globalement l’énorme excédent commercial que l’Allemagne fait », selon Jacques Sapir.

Citant par ailleurs une étude publiée en 2019 par le Centre d’étude pour la politique européenne (20 Years of the Euro: Winners and Losers), Jacques Sapir a cité le calcul effectué sur les « gagnants » et les « perdants » de la monnaie unique qui démontrait que les Français auraient perdu 3 100 euros entre 1999 et 2017.

Ayant reproduit les calculs dans son propre laboratoire de recherche, Jacques Sapir a pour sa part obtenu sur la période 1999-2018 une perte moyenne de revenus d’environ 2 600 euros. Il a au passage étrillé les «acrobaties fiscales» de certains candidats à l’élection présidentielle, notamment Eric Zemmour qui a promis de donner un 13e mois équivalent au SMIC tandis que la différence entre la situation française avec l’euro et celle où la France disposerait encore du franc s’élèverait à 4,7 fois le SMIC selon Jacques Sapir.

45 à 50% du taux de chômage imputable à l’euro en 2019

Des effets qui ont eu des conséquences sur le chômage : « Sous l’hypothèque que la productivité aurait été la même de ce qu’elle a été dans la réalité, nous avons abouti à la conclusion qu’il y aurait eu 3,5 millions de personnes employées en plus en 2019 » analyse-t-il, un chiffre qu’il faudrait rapprocher d’ailleurs aux 6,1 millions de demandeurs d’emploi toutes catégories confondues. En bref, l’euro « aurait provoqué entre 45 et 50% du niveau de chômage tel qu’il était à la fin de 2019 » selon lui.

Autre échec de l’euro : il n’est pas devenu un concurrent du dollar. Les statistiques du Fonds monétaire international (FMI) démontrent qu’en fait la part du dollar dans les réserves des banques centrales demeure largement supérieure à celle de l’euro. Alors qu’en 2008 l’euro était monté à 27% (son maximum historique), le dollar reste entre 60 et 65% des réserves internationales. Depuis lors, la part de l’euro baisse régulièrement, se trouvant aujourd’hui à 20% des réserves internationales de change. En outre, Jacques Sapir cible un point particulier : « La part de l’euro, aujourd’hui, elle est inférieure à la part cumulée du deutschmark, du franc français et du florin hollandais, avant 1999. Autrement dit, la part de l’euro dans les réserves des banques centrales n’atteint même pas le niveau de ce qu’atteignaient les monnaies des pays de la zone euro avant la constitution de l’euro. »

Malgré tout, l’euro résiste. Jacques Sapir estime que cela est lié principalement à deux raisons. La première serait d’ordre politique : l’euro est « la seule institution fédérale de l’Union européenne. Tant que les grands pays tels que la France, l’Allemagne ou l’Italie n’auront pas renoncé à l’illusion de construire une Union européenne fédérale, ils ne pourront pas se détacher de l’euro » selon lui.

La seconde serait conjoncturelle : la politique de la Banque centrale européenne (BCE). Si l’économiste estime qu’elle avait « très mal réagi lors de crise des subprimes de 2008 à 2010, autant elle a très bien réagi avec la crise sanitaire », redonnant une certaine crédibilité à la monnaie unique. Le problème à venir serait alors le retour à la politique traditionnelle de la BCE et ce serait là « que pourrait se poser effectivement la question du devenir de l’euro » conclut-il.

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Source : RT France


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