Le Conseil d’État autorise Microsoft à héberger les données de santé des Français


Malgré l’invalidation de l’accord Privacy Shield et les recommandations de la CNIL.

La Plateforme pour centraliser les données de santé, organisme public également appelé « Health Data Hub », a été créée fin novembre 2019 afin de faciliter le partage des données de santé afin de favoriser la recherche.

Certaines de ces données sont notamment utilisées pour les besoins de la gestion de l’urgence sanitaire et de l’amélioration des connaissances sur le virus covid-19. D’ailleurs, au nom de l’état d’urgence, le gouvernement français a accéléré la mise en place du Health Data Hub. Nous pouvons citer des mesures comme l’arrêté du 21 avril qui autorise le Health Data Hub, ainsi que la Caisse nationale de l’assurance-maladie (Cnam), à collecter, « aux seules fins de faciliter l’utilisation des données de santé pour les besoins de la gestion de l’urgence sanitaire et de l’amélioration des connaissances sur le virus Covid-19 », un nombre considérable de données.

La Plateforme a signé, le 15 avril 2020, un contrat avec une filiale irlandaise de la société américaine Microsoft pour l’hébergement des données et l’utilisation de logiciels nécessaires à leur traitement.

L’avis de la CNIL sur le projet a été demandé et la Commission n’a pas caché ses inquiétudes face à un possible transfert des données aux États-Unis notamment parce que le gouvernement français s’appuie sur l’américain Microsoft pour stocker l’ensemble des données de santé.

En juin, la CNIL a indiqué souhaiter qu’au vu de « la sensibilité et du volume des données ayant vocation à être hébergées au sein de la PDS (plateforme de données de santé, ndlr), pour lesquelles le niveau de protection technique, mais aussi juridique le plus élevé doivent être assurés, y compris en matière d’accès direct par les autorités de pays tiers, la CNIL a fait part de son souhait qu’une vigilance particulière soit accordée aux conditions de conservation et aux modalités d’accès aux données ».

La Commission nationale est allée plus loin en appelant au choix d’un hébergeur européen : « À plus long terme, elle a pris acte de ce qu’il lui a été indiqué que l’entrepôt appelé à être constitué au sein de la Plateforme des données de santé n’est pas lié aux services d’un unique prestataire. Elle souhaiterait, eu égard à la sensibilité des données en cause, que son hébergement et les services liés à sa gestion puissent être réservés à des entités relevant exclusivement des juridictions de l’Union européenne. »

Le même mois, une quinzaine d’organisations et de personnalités ont déposé un référé-liberté devant le Conseil d’État contre le déploiement de la base de données de Health Data Hub.

Il s’agit entre autres du collectif InterHop, composé de professionnels du secteur de la santé et de l’informatique médicale, mobilisé depuis près d’un an contre le projet, mais également par le médecin Didier Sicard, ancien président du Comité national consultatif d’éthique, le professeur Bernard Fallery, spécialiste des systèmes d’information, le Syndicat national des journalistes (SNJ), le Syndicat de la médecine générale (SMG), l’Union française pour une médecine libre (UFML), la représentante des usagers du conseil de surveillance de l’APHP, l’Observatoire de la transparence dans les politiques de médicaments, l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (UGICT-CGT) et l’Union fédérale médecins, ingénieurs, cadres, techniciens CGT Santé et Action sociale (UFMICT-CGT Santé et Action sociale).

Selon eux, cette mise en place « porte une atteinte grave et sûrement irréversible aux droits de 67 millions d’habitants de disposer de la protection de leur vie privée notamment celle de leurs données parmi les plus intimes, protégées de façon absolue par le secret médical : leurs données de santé ».

Le motif : le Health Data Hub, avec ses données, est « hébergé sur le cloud de Microsoft ». Microsoft étant une entreprise américaine, « il n’y a pas de garantie que ces données ne seront pas exportées aux États-Unis », selon les auteurs du recours, s’alignant ainsi sur l’avis rendu par la CNIL.

Après l’invalidation du Privacy Shield, la CNIL estime que Microsoft ne doit plus gérer les données de santé des Français

En juillet 2020, la Cour de justice européenne a invalidé l’accord « Privacy Shield », la base légale sur laquelle s’appuyait Microsoft pour transférer certaines données vers ses serveurs outre-Atlantique, un arrêt qui « a radicalement changé la situation du recours à des solutions d’hébergement fournies par des acteurs étasuniens », selon la CNIL.

Le gendarme français des données personnelles rappelle que Microsoft, qui détient les clés de chiffrement des données stockées en Europe, est susceptible de réaliser certains transferts aux États-Unis pour des opérations d’administration. Et de préciser que l’entreprise est soumise « à des injonctions des services de renseignement (américains) l’obligeant à leur transférer des données stockées et traitées sur le territoire de l’Union européenne ».

Pour la CNIL, la situation est donc très claire : les données des citoyens européens ne peuvent plus être confiées à une entreprise américaine, même si celle-ci dispose d’un siège et de serveurs dans l’Union européenne. « Cette situation doit conduire à modifier les conditions d’hébergement de la PDS ainsi que celles des autres entrepôts de données de santé qui sont hébergés par des sociétés soumises au droit étatsunien. » Le gendarme soutient que ce changement d’hébergement « devrait intervenir dans un délai aussi bref que possible ».

Consciente du défi technique d’un changement d’hébergement, la CNIL envisage « période de transition » dont la durée sera « limitée au strict nécessaire », et « recommande aux autorités publiques d’évaluer en urgence l’existence de fournisseurs alternatifs et leurs capacités, tant en volume de stockage qu’en qualité de service, afin d’évaluer la durée nécessaire pour cette transition, la plus courte possible ».

Durant cette période de transition, la CNIL propose de mettre en place « un fondement juridique permettant le cas échéant, de délivrer de telles autorisations, sous certaines garanties ». Elle précise que « cette période de transition doit rester limitée à ce qui est nécessaire et impérativement mise à profit pour garantir, par des démarches actives, la modification des conditions d’hébergement des données ».

Le traitement de données par Microsoft sur le territoire de l’Union européenne n’est pas en lui-même une illégalité grave et manifeste

Le juge des référés relève qu’il ne peut être totalement exclu que les autorités américaines, dans le cadre de programmes de surveillance et de renseignement, demandent à Microsoft et à sa filiale irlandaise l’accès à certaines données.

Mais, tout d’abord, la CJUE n’a pas, à ce jour, jugé que le droit européen de la protection des données interdirait de confier le traitement de données, sur le territoire de l’Union européenne, à une société américaine. En outre, une violation du règlement général sur la protection des données (RGPD) demeure dans un tel cas hypothétique, car elle supposerait que Microsoft ne soit pas en mesure de s’opposer à une éventuelle demande des autorités américaines. Les données de santé sont, par ailleurs, pseudonymisées avant leur hébergement et leur traitement par la Plateforme. Enfin, il existe un intérêt public important à permettre la poursuite de l’utilisation des données de santé pour les besoins de l’épidémie de covid-19 grâce aux moyens techniques dont dispose la Plateforme.

En conséquence, le juge des référés du Conseil d’Etat ne relève pas d’illégalité grave et manifeste qui justifierait la suspension immédiate du traitement des données par cette plateforme.

En revanche, face à l’existence d’un risque, et compte tenu du fait que le juge des référés ne peut prononcer que des mesures de très court terme, il demande au Health Data Hub de continuer, sous le contrôle de la CNIL, à travailler avec Microsoft pour renforcer la protection des droits des personnes concernées sur leurs données personnelles. Ces précautions devront être prises dans l’attente d’une solution qui permettra d’éliminer tout risque d’accès aux données personnelles par les autorités américaines, comme annoncé par le secrétaire d’État au numérique le jour même de l’audience au Conseil d’État (choix potentiel d’un nouveau sous-traitant, recours à un accord de licence suggéré par la CNIL…). Il rappelle également que les projets recourant au Health Data Hub sont ceux pour lesquels il n’existe pas d’autre solution technique satisfaisante compte tenu de l’urgence de la situation.

Lire aussi : StopCovid, Health Data Hub : les données de santé des Français aux mains des Américains ?

Sources : Developpezdécision du juge des référés du Conseil d’Etat


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