Bagarres, cambriolages, drogués… la cote d’alerte dépassée dans le Nord-est parisien


Les manifestations de riverains et de commerçants excédés se multiplient dans le nord-est de Paris. Les plaignants pointent une insécurité grandissante, liée notamment à la présence de plus en plus nombreuse de fumeurs de crack. Sputnik France a interrogé forces de l’ordre, habitants et commerçants afin de connaître leur quotidien. Enquête.

«Le soir, ils sont parfois plusieurs dizaines voire une centaine. C’est impressionnant.»

Tirant sur sa cigarette pendant qu’il s’affaire à installer le bar, Raphaël devise sur la présence de plus en plus massive de fumeurs de crack sur la place Stalingrad. L’établissement dans lequel il travaille, lieu branché prisé des fêtards parisiens, se situe dans la célèbre Rotonde qui domine le quartier. C’est à quelques mètres de là, à proximité du cinéma MK2, qu’un migrant afghan en situation irrégulière blessé sept personnes, dont quatre grièvement, à coup de couteau et de barre de fer au soir du 9 septembre. Si l’enquête contredit la piste du fumeur de crack qui a craqué, beaucoup d’habitants et de commerçants dénoncent la montée dans le quartier de l’insécurité liée à ces pratiques.

​François Dagnaud, maire PS du XIXe arrondissement, a réuni ses administrés le 15 septembre pour discuter des problèmes liés à la toxicomanie : «Je le répète. L’urgence absolue, c’est la sécurité des habitants. Mais il faut aussi agir collectivement pour obtenir la mise en œuvre d’autres actions : le démantèlement des réseaux de drogue par les services de police spécialisée, la création de nouveaux dispositifs de prise en charge des toxicomanes…»

L’édile a multiplié ces derniers mois les courriers adressés aux autorités afin d’alerter sur ce «quartier en danger». Des riverains et des commerçants regroupés dans le «Collectif 19 Stop Crack» ont lancé l’été dernier une pétition en ligne, qui a dépassé les 3.300 signatures. Elle a été adressée au préfet de police de Paris afin de dénoncer une situation «qui se dégrade depuis plusieurs mois à un rythme inquiétant».

Sputnik France a tenté d’en savoir plus sur la nature de cette insécurité et ses origines en donnant la parole aux forces de l’ordre, aux riverains et aux commerçants.

Plus de présence policière

Le 27 juin 2018, les autorités ont ordonné l’évacuation de la «Colline du crack». Ce haut lieu du trafic de drogue situé à proximité de la porte de la Chapelle concentrait une grande partie des fumeurs de crack parisiens.

«Après l’évacuation de la Colline du crack par les forces de l’ordre, les drogués se sont un peu éclatés partout dans les environ et d’un phénomène plutôt concentré, nous sommes passés à de multiples zones de consommation, ce qui a créé des problèmes d’insécurité», explique Axel Ronde, secrétaire général du syndicat de police Vigi.

Aujourd’hui, une grande partie de ces drogués erre entre la porte de la Chapelle et Stalingrad. D’après Le Parisien, ils seraient environ 8.000 dans le secteur. Mais qui sont-ils ? «Des gens totalement désociabilisés. Il y a beaucoup de mineurs isolés, dont pas mal de migrants, des sans-domicile fixe, parfois même des habitants de ces quartiers qui vivent majoritairement dans des squats», souligne Axel Ronde.

Difficile d’obtenir des chiffres précis quant à leur nombre ou à l’augmentation réelle ou non de la délinquance. Les données récentes ne sont pas disponibles à cause d’une «préfecture qui communique peu» selon le syndicaliste policier. En janvier 2017, Le Parisien publiait une carte interactive de la délinquance à Paris. Le quotidien s’était basé sur les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) pour 2015. Si le nord de Paris était en tête au niveau des faits de violences, une fois les chiffres rapportés au nombre d’habitants, l’hypercentre de la capitale se trouvait être de loin la zone la plus dangereuse.

«Il y a vingt ans, le nord-est de Paris comptait de très nombreux drogués et l’insécurité y était omniprésente. Avec un certain embourgeoisement, la situation s’était calmée au fil des ans», analyse Axel Ronde.

Serait-elle à nouveau en train de déraper ? Sans données précises, reste le sentiment des riverains et des commerçants. Et il est mitigé. Pour certains, il est clair que l’insécurité augmente depuis le début de l’été. Pour d’autres, elle est la même depuis des années. Ava habite à proximité du métro La Chapelle depuis deux ans. Cette trentenaire est excédée par l’atmosphère qui règne dans le quartier :

«Je n’y habite pas par choix, mais par nécessité économique. Je ne pensais pas que ce quartier serait aussi minable que dangereux, et je ne crois pas que les trois CRS qui stationnent depuis quelque temps à l’entrée du métro y changent quelque chose. Absolument toutes les personnes qui vivent dans un périmètre de 100 mètres autour du métro se sont fait agresser l’année dernière. Amis, famille, voisins, ou moi-même, ont fait l’objet d’une agression : tentative de vol de portable, de vélo, de sac à main. Il y a un sentiment d’abandon… les rues sont dégueulasses, les vendeurs de cigarettes sont agressifs, le carrefour en lui-même est une insulte à l’urbanisme et ses habitants.»

La présence policière apaise pourtant certains dans le quartier. Derrière son bar, un employé du «Capucin», situé juste à côté de l’entrée du métro, se félicite d’un changement positif ces derniers temps : «La police est là depuis deux mois et ça va mieux. En général, ils restent jusqu’à minuit, à l’heure où on ferme. Avant, il y avait beaucoup de vols à l’arraché, de bagarres, de gens menacés, mais leur présence a amélioré la situation.»

C’est également l’avis d’Ismaël. Embauché il y a huit mois dans une station essence située entre les métros La Chapelle et Stalingrad, il loue la présence de policiers en civils qui patrouillent régulièrement dans le quartier et qui permettent qu’il ne devienne pas «invivable».

«L’autre jour, un client s’est fait arracher son téléphone juste à côté de la pompe. Le voleur a fait 50 mètres avant d’être arrêté par la police.»

Reste que l’insécurité est une réalité pour beaucoup. Séverine, 24 ans, habitante du quartier de Stalingrad rentrait un soir avec son copain. Un homme «visiblement défoncé» vient demander une cigarette à son conjoint. Le début d’un presque drame : «Mon copain ne fume pas. Il lui a donc signifié et là le type a commencé à s’agiter et l’a frappé au visage. Je n’ai jamais eu aussi peur. Il l’insultait, mais on ne comprenait pas ce qu’il disait. Il était dans un état second. Heureusement, une bande de jeunes est intervenue et a fait partir l’agresseur. Nous n’avons pas porté plainte. Cela ne sert à rien. Il y en a tellement dans le quartier. Je ne sais même pas si ce type était Français. Personne ne l’aurait retrouvé.»

«On a affaire à des infractions qui vont des petits larcins comme les vols de vélo ou de portables à des cambriolages et parfois cela va jusqu’à l’agression physique, le viol ou le meurtre, souvent tard la nuit ou tôt le matin», explique Axel Ronde.

Le 7 août, France Bleu relatait qu’un cambrioleur avait été interpellé quai de Loire dans le XIXe arrondissement de Paris. Alerté par des cris, un voisin avait appelé la police. À l’arrivée des forces de l’ordre dans l’appartement, l’agresseur était pantalon baissé et tentait de violer sa victime.

«C’est devenu banal de voir les Autolib se faire détruire la nuit, de voir des gens le visage en sang en pleine après-midi, d’assister à des bagarres géantes : oui géantes, parce que si quelqu’un dans le quartier se fait agresser, c’est toute la communauté indienne ou tamoule qui sort dans la rue défendre l’agressé. C’est très impressionnant.
Cette solidarité me rassure plus que les flics qui restent plantés devant le square qui abrite les camés du quartier. Mais elle m’effraie aussi parce que, pour en arriver à une telle organisation massive d’autodéfense, c’est que le quartier doit être délaissé depuis bien des années», s’indigne Ava.

Bagarres entre «crackers» et migrants

Du côté de Stalingrad et Jaurès, qui concentrent une grande partie des «crackers» ou fumeurs de crack, les commerçants vivent des moments difficiles. Pauline, jeune serveuse du Grand Marché Stalingrad de la Rotonde parle de clients harcelés et apeurés : «Les “crackers” viennent en terrasse demander des cigarettes, de l’argent ou du feu aux clients. On a eu des vols dans le restaurant. Honnêtement cela devient compliqué.»

Peter*, journaliste sportif habitué de l’établissement, décrit une scène qui l’a récemment marqué, alors qu’il se trouvait en terrasse avec des amis :

«Un soir, il devait être aux alentours de minuit, j’ai vu une femme visiblement droguée avoir une altercation avec les membres de la sécurité. Elle les a menacés et est revenue quelques minutes plus tard armée d’une chaîne qu’elle faisait tournoyer en l’air. Heureusement une de ses amies est intervenue pour calmer la situation. Je n’irai pas jusqu’à dire que le quartier est devenue une “no go zone”, mais il est clair que cet été la situation n’est pas allée en s’arrangeant. Aujourd’hui, dans ces quartiers, si l’on vous demande du feu, c’est plus pour allumer une pipe à crack qu’une cigarette.»

Plusieurs commerçants se plaignent d’avoir de moins en moins de clients dans le nord-est de Paris. À proximité de la gare du Nord, où une salle de shoot a été ouverte il y a deux ans, certains se disent près de mettre la clef sous la porte. Interrogé par nos confrères du Figaro, un restaurateur du quartier n’en peut plus : «Entre 2012 et 2016, mon chiffre d’affaires a augmenté de 300%. Entre 2016 et 2018, il a diminué de 40%», explique-t-il. Avant d’enchaîner : «Nous étions cinq employés et nous ne sommes plus que trois. Je ne me verse plus de salaire depuis deux ans.» D’après lui, «des mecs défoncés entrent parfois dans le restaurant pour demander des clopes» et il assure que de nombreuses bagarres ont lieu quotidiennement : «Beaucoup de clients nous disent qu’ils ne reviendront plus dans notre restaurant à cause de l’insécurité.»

C’est en substance ce que nous ont confié deux employés du Mac Donald de la rue Secrétan à proximité de Stalingrad :

«Au début du mandat de François Hollande, la situation s’était calmée. Depuis cela va en s’empirant et dernièrement on voit plus de drogués, de bagarres et de violences qu’à l’accoutumée dans le secteur.»

Car le crack, ou cocaïne-base, est une drogue qui peut rendre très violent. Si son prix, d’environ six euros le caillou, est si bas, c’est que la drogue est de très mauvaise qualité. «Par ailleurs, dans les heures qui suivent la prise de cocaïne, peuvent apparaître des troubles délirants sous la forme d’épisodes psychotiques avec hallucinations auditives, visuelles et sensorielles. Cette paranoïa induite par la cocaïne peut être accompagnée d’un syndrome de recherche compulsive du produit, plus particulièrement chez les usagers de crack», note sur son site l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

«Le crack est une est pires drogues du monde. Elle est de très mauvaise qualité et a un impact terrible sur le corps et le cerveau de ces personnes qui ne se rendent même plus compte de ce qu’elles font», note Axel Ronde.

C’est précisément le caractère imprévisible des fumeurs de crack qui effraie Pauline et son collègue Jérémy. Ce dernier a reçu un coup de poing d’un «cracker» après lui avoir refusé une cigarette un soir en rentrant du travail. «Les camés au crack peuvent faire très peur, ils sont dans un état second. En plus, ils ont parfois des seringues, etc. Tu te dis “si je tombe sur un fou il va m’attaquer avec”», lance Pauline.

Alors elle s’adapte. Comme de nombreux riverains et travailleurs du Nord-est parisien. En cette chaude fin d’après-midi de septembre, elle porte une jupe longue qui recouvre l’intégralité de ses jambes. Un choix qui n’en n’est pas vraiment un. «J’ai mis une jupe longue au lieu d’une courte parce que je sais que je termine tard ce soir et que je vais devoir traverser la place. Je ne veux pas céder à la peur alors je rentre en métro, mais je prie pour que rien ne m’arrive», explique-t-elle.

«Par réflexe, quand je sors du métro, je garde toujours mon portable dans une poche intérieure et je choisis mes vêtements en fonction. Je garde aussi ma clef dans la main pour ne pas avoir à chercher dans mon sac dans la cage d’escalier, au risque de tomber sur des gamins défoncés qui m’agressent, comme c’est arrivé à la voisine», raconte Ava.

Certains refusent totalement de céder à la peur. Et jugent même que la situation n’est pas si dramatique. C’est le cas de Marie. Cette jeune fille de 25 ans vit en face du canal de l’Ourcq à proximité de Stalingrad. Elle ne constate pas de dégradation au niveau sécuritaire dans le quartier :

«Je n’ai pas l’impression que le quartier soit moins sûr qu’avant et ça fait deux ans que j’y habite. Je n’ai jamais eu le moindre souci, alors que je suis une nana et que je rentre tard pratiquement tous les soirs, car je travaille en décalé. Il y a en effet beaucoup de mecs qui traînent dans la rue, ce n’est pas toujours très rassurant. Mais il y’a une distinction à faire entre les migrants et drogués. Ces derniers peuvent effectivement poser problème.»

De fait, le nord-est de Paris abrite de nombreux individus issus de la récente crise migratoire qui frappe l’Europe. Les démantèlements de camps qui ont eu lieu avant l’été dans la capitale en ont jeté de nombreux dans les rues de Paris et de sa zone nord-est. Et la cohabitation avec les «crackers» ne se passe pas toujours très bien.

«Il y a deux types de populations qui squattent la Rotonde : les camés et les migrants. Parfois, ils se battent entre eux. C’est terrible, parce que certains migrants essayent d’apprendre le français avec des associations et ils se font attaquer par les fumeurs de crack. Puis des migrants tombent malheureusement dans la came. C’est un cercle vicieux», raconte Pauline.

Fumeurs de crack, migrants, insécurité, commerces en difficulté, mineurs isolés, etc. Le tableau est sombre. Mais quelles solutions mettre en place ? Plusieurs associations de quartier et de commerçants demandent plus de policiers.

«Cela tombe bien, nous aussi! Malheureusement, c’est l’inverse qui se passe depuis plusieurs années, avec des diminutions d’effectifs dans Paris intra-muros. Cela devient véritablement problématique. Maintenant, on nous parle de fusions des mairies d’arrondissements donc de fusions de commissariats. Au final, nous avons de moins en moins de policiers», déplore Axel Ronde.

Le projet du gouvernement de fermer certains commissariats parisiens afin de mutualiser les effectifs de la police nationale fait grincer des dents. «Ce n’est que le début d’une grande marche en avant. On sait très bien qu’ils vont vouloir à terme fusionner des arrondissements dans Paris […] et fusionner des commissariats de plain-pied; ils vont fusionner les brigades anticriminalité […] c’est un service régalien, ce n’est pas mercantile», s’est notamment désolé Eddy Sid, porte-parole du syndicat Unité SGPpolice au micro de RT France.

​Nous avons souhaité connaître la position des maires des XIXe et Xe arrondissements. Mais leurs services n’avaient toujours pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication de cet article. Du côté de l’Hôtel de Ville de Paris, on semble vouloir continuer sur la voie de la salle de shoot. Mais cette fois, dédiée aux fumeurs de crack. En août dernier, Anne Souyris, l’adjointe à la Santé (EELV) à la mairie de Paris a émis l’idée de mettre en place des bus itinérants pour les «crackers». Une trouvaille qui ne plaît pas à Axel Ronde :

Des bandes de mineurs isolés, souvent marocains, ont plusieurs fois défrayés la chronique ces derniers mois en commettant vols et agressions dans la capitale. Les autorités semblent avoir le plus grand mal à endiguer le phénomène. Question drogue, la mairie de Paris devrait bientôt présenter son «plan crack» afin de gérer une situation qui semble déraper. Il y a 20 ans, le Nord-est parisien était gangrené par le trafic de drogue. Il s’agirait de ne pas remonter le temps. SOS quartier en danger.

Source : Sputnik


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