« Twitter sera banni de l’UE, s’il ne se conforme pas à nos règles » prévient la France


Twitter a annoncé qu’il se retirait du code de bonnes pratiques de l’Union européenne contre la désinformation en ligne, un engagement volontaire signé par les grandes plateformes numériques pour lutter contre la propagation de fausses informations et de discours haineux sur leurs services. Cette décision a provoqué la colère du commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, qui a menacé le réseau social d’interdiction dans l’Union européenne s’il ne respectait pas les obligations légales qui entreront en vigueur le 25 août prochain avec le Digital Services Act (DSA).

Le DSA est une réglementation qui vise à responsabiliser les plateformes numériques sur le contenu qu’elles hébergent et à les obliger à prendre des mesures pour prévenir et supprimer les contenus illicites, nuisibles ou trompeurs. Le DSA impose notamment aux plateformes de renforcer la transparence de la publicité politique, d’assurer l’intégrité de leurs services face aux faux comptes ou aux bots, de responsabiliser les utilisateurs et les chercheurs, ou encore de coopérer avec les autorités et les vérificateurs de faits.

Le code de bonnes pratiques quant à lui a été mis en place dans sa mouture initiale en octobre 2018 et comportait 21 mesures adoptées par un certain nombre de grandes entreprises technologiques comme Microsoft, Google, Twitter, TikTok, Facebook ainsi que de plus petites plateformes, des agences publicitaires, des fact-checkeurs et des ONG pour lutter contre la désinformation. Ces mesures avaient pour objectifs de :

  • de garantir la transparence du contenu sponsorisé, en particulier de la publicité à caractère politique, ainsi que de restreindre les options de ciblage pour ce même type de publicité et de réduire les recettes des pourvoyeurs de désinformation ;
  • d’expliciter davantage le fonctionnement des algorithmes et de permettre la vérification par une tierce partie ;
  • de faire en sorte que les utilisateurs découvrent plus facilement des sources d’information différentes offrant des points de vue contrastés et qu’ils y accèdent plus aisément ;
  • d’instaurer des mesures pour repérer et fermer les faux comptes et s’attaquer au problème des robots informatiques ;
  • de permettre aux vérificateurs de faits, aux chercheurs et aux pouvoirs publics de surveiller en permanence la désinformation en ligne.

En juin 2022, un code renforcé a été adopté pour pallier aux faiblesses du code de bonnes pratiques de 2018 et comportait cette fois-ci, 44 engagements et 128 mesures spécifiques dans les domaines de :

  • la démonétisation : réduire les incitations financières pour les fournisseurs de désinformation ;
  • la transparence de la publicité politique ;
  • l’intégrité des services ;
  • la responsabilisation des utilisateurs ;
  • la responsabilisation des chercheurs ;
  • la responsabilisation de la communauté de vérification des faits ;
  • le centre de transparence et task-force ;
  • le renforcement du cadre de suivi.

Pour cette dernière version du code de bonnes pratiques, le nombre d’entreprises signataires s’est élargi. Nous avons comme signataires : Adobe, Avaaz, Clubhouse, Croustillant, Demagog, Dot Europe, Association européenne des agences de communication (EACA), Faktograf, Globsec, Google, IAB Europe (Bureau européen de la publicité interactive), Kinzen, Kreativitet & Kommunikation, Logiquement, Maldita.es, MediaMath, Meta, Microsoft, Neeva, Newsback, NewsGuard, PagellaPoltica, Reporters sans frontières (RSF), Sezconcluent, L’application Bright, L’initiative Garm, TikTok, Twitch, Twitter, Vimeo, VOST Europe, WhoTargetsMe, Fédération mondiale des annonceurs (WFA).

Twitter a justifié son retrait du code volontaire par le fait qu’il ne correspondait plus à sa vision et à sa stratégie. Le réseau social, repris par le milliardaire Elon Musk, a en effet opéré un virage radical en matière de modération, en réduisant ses effectifs et en laissant plus de liberté d’expression à ses utilisateurs, quitte à tolérer des contenus polémiques, voire illégaux. Elon Musk, qui a lui-même été accusé de diffuser de la désinformation sur Twitter, notamment sur la pandémie de Covid-19 ou sur les cryptomonnaies, semble défier les autorités européennes et ne pas craindre les sanctions potentielles.

Twitter bientôt interdit en France ?

La France, qui a adopté en 2018 une loi contre la manipulation de l’information (couramment appelée « loi infox » ou « loi fake news »), a réagi avec fermeté à la décision de Twitter.

En cas de non-respect du DSA à partir du 25 août, Twitter s’expose à de lourdes amendes, pouvant aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaires de la plateforme. Pas grand-chose probablement pour la plateforme qui a perdu beaucoup d’argent depuis son rachat. Mais en cas de récidive, Le ministre français de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot avertit : « Twitter sera banni de l’Union européenne, s’il ne se conforme pas à nos règles » :

Je ne vais pas lancer d’ultimatum, je vais simplement rappeler que la désinformation est un poison qui est la menace la plus lourde qui pèse sur nos démocraties. S’agissant de la lutte contre la désinformation, Twitter est sur une pente glissante. Twitter a annoncé la semaine dernière qu’il sortait du code de conduite volontaire de lutte contre la désinformation que 34 géants du numérique ont signé. En revanche, à partir du 25 août prochain, les règles que la France a fait adopter en Europe s’appliqueront et à partir de ce moment-là Twitter devra se conformer et lutter activement contre la désinformation, sans quoi Twitter ne sera pas le bienvenue en Europe[…].

Ça veut dire qu’à partir du 25 août, si Twitter ne lutte pas activement contre la désinformation, la commission européenne pourra engager contre Twitter des sanctions allant jusqu’à 6% du chiffre mondial, c’est à peu près 300 millions d’euros. Et en cas de récidive, si Twitter ne se conforme pas, alors il pourra être banni de l’Union européenne

« Dès la fin de l’été, c’est un ensemble de règles qui s’impose aux réseaux sociaux […] avec des obligations de modération, c’est-à-dire avec des retraits de contenus illicites qui leur sont signalés, avec des interdictions comme celle de faire de la publicité ciblée sur les mineurs mais aussi avec une obligation impérieuse, celle de lutter activement contre la désinformation » a-t-il insisté.

Twitter se retrouve donc isolé face à l’Union européenne, qui compte plus de 450 millions d’utilisateurs potentiels pour le réseau social. Les autres plateformes numériques, comme Facebook, Google ou TikTok, ont en effet confirmé leur adhésion au code volontaire et leur volonté de se conformer au DSA. Twitter risque donc de perdre un marché important et de voir son image ternie par son attitude irresponsable. La question est de savoir si Elon Musk va revenir sur sa décision ou s’il va maintenir son bras de fer avec l’Europe.

Et si la solution venait de la nouvelle directrice de Twitter ?

L’Europe espère sans doute que Linda Yaccarino, qui va prendre les rênes de l’entreprise dans les prochaines semaines, sera un peu plus ouverte à la discussion.

Son arrivée au siège de PDG de Twitter a été annoncée plus tôt ce mois-ci, Elon Musk indiquant qu’elle prendrait ses fonctions « dans six semaines ». Linda Yaccarino aura la lourde tâche de redresser les comptes de Twitter, une entreprise embourbée dans de multiples crises, dont beaucoup ont été provoquées par Musk lui-même. Musk a licencié ou perdu environ 75 % des employés de Twitter depuis sa prise de contrôle en octobre, y compris la plupart de ceux qui avaient des relations profondes dans les ventes et les partenariats, que Yaccarino devra désormais réparer. La société a également fait face à un exode d’annonceurs, déclenché en partie par les décisions erratiques de modération de contenu de Musk et ses propres tweets.

Linda Yaccarino devra donc également gérer les relations avec les annonceurs, les médias et les autorités régulatrices.

Certains se demandent si elle va nécessairement aller dans la même direction qu’Elon Musk ou si elle aura de la marge.

Lors d’une conférence sur la publicité le mois dernier à Miami, Yaccarino a poussé Musk sur ses plans pour rendre la plate-forme plus confortable pour les marques. À un moment donné, elle a franchement demandé à Musk s’il estimait qu’il avait suffisamment « ôté le risque » du site pour assurer aux annonceurs que leurs campagnes n’allaient pas atterrir dans des « endroits horribles et haineux ».

Yaccarino a déclaré à Musk sur scène: « Il y a des jours où je vois certains de vos tweets et j’aimerais pouvoir dire: “arrêtez d’envenimer la situation ».

« Il y a très peu de personnes qui ne seraient pas simplement considérées comme une simple figure de proue du PDG de Twitter et Linda Yaccarino en fait partie », a déclaré Mike Proulx, qui dirige l’équipe de recherche du directeur marketing de Forrester. « C’est une force très respectée dans l’industrie dont la crédibilité auprès des annonceurs parle d’elle-même ».

La dégradation des relations avec Bruxelles ne date pas d’aujourd’hui

Les relations entre Musk et Bruxelles sont loin d’être au beau fixe, depuis le rachat de la plateforme l’automne dernier. Fin octobre, le commissaire européen Thierry Breton avait déjà mis en garde l’entrepreneur qui opérait des coupes massives, notamment dans ses équipes de modération. « L’oiseau volera selon nos règles » avait-il prévenu.

En attendant, Elon Musk a publié un tweet énigmatique : « L’incompétence est indiscernable du sabotage ». Reste à déterminer de quoi (ou qui) il parle.

Lire aussi : Elon Musk retire Twitter du code de bonnes pratiques de l’UE contre la désinformation

Sources : Developpez – interview de Jean-Noël Barrot (vidéo dans le texte)


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