La Russie est « prête » à se déconnecter de l’Internet mondial, selon l’ex-président Medvedev


Même s’il n’y a pour l’instant aucune raison de le faire.

L’ancien président russe Dmitri Medvedev a déclaré lundi que la Russie est « prête » à se déconnecter de l’Internet mondial si nécessaire.

Mais bien que le pays ait cette capacité, Medvedev, qui est actuellement vice-président du Conseil de sécurité russe, dit qu’il ne voit aucune raison à cela, et que ce serait une « épée à double tranchant ». La déclaration a été faite à Interfax, une agence de presse privée russe située à Moscou.

Le pays expérimente depuis des années ce qu’il appelle “RuNet”, une sorte d’intranet national destiné à garantir le fonctionnement de l’infrastructure technologique (en particulier les télécommunications et le système financier) au cas où quelque chose d’« extraordinaire » se produirait. La Russie est « légalement et technologiquement » prête à se déconnecter de l’Internet mondial si nécessaire, a déclaré l’ancien président. Le pays aurait également développé la capacité de se déconnecter du système mondial de paiements SWIFT.

« Nous avons même dû créer notre propre système de transmission d’informations afin de pouvoir échanger des messages électroniques au cas où cela se produirait soudainement », a-t-il déclaré. Mais alors que Medvedev a déclaré que la Russie est capable d’isoler son Internet du Web mondial, il a souligné qu’il ne voyait aucune raison de le faire, disant qu’une telle décision pourrait à tout moment se retourner contre la Russie.

L’ancien président a déclaré que les États-Unis conservent « des droits de contrôle clé » sur l’Internet, ce qui pourrait entraîner la déconnexion de la Russie de l’Internet mondial « si quelque chose d’extraordinaire se produit ». En citant un autre exemple, il a également déclaré que la Russie pourrait également être déconnectée du système de paiement international SWIFT.

La loi “Internet souverain”

Les autorités russes ont longtemps flirté avec l’idée d’un renforcement des restrictions et du contrôle de l’Internet sur le territoire russe. En février 2019, les médias ont évoqué le test russe de déconnexion planifié qui consisterait à vérifier que la transmission des données entre les citoyens russes et les organisations russes reste à l’intérieur du pays plutôt que d’être acheminée à l’étranger. Le test a été prévu par les autorités russes et les principaux fournisseurs d’accès à Internet. L’agence de presse russe RosBiznesKonsalting (RBK) avait rapporté que les différents acteurs seraient d’accord pour déconnecter brièvement le pays d’Internet afin de recueillir des informations et de fournir des commentaires et des modifications à un projet de loi présenté au Parlement russe en décembre 2018.

En octobre 2019, le président du Comité russe de la politique de l’information, Leonid Levin, a déclaré lors du Forum numérique russe que la Douma d’État russe était en train d’adopter plus de 50 lois pour réglementer les nouvelles technologies dans le secteur des technologies et de l’information. La plus controversée d’entre elles – la loi RuNet qui permettra à la Russie de se couper du reste du World Wide Web – est entrée en vigueur le 1er novembre 2019. Des milliers de Russes sont descendus dans la rue après l’adoption de la loi en première lecture en février 2019, et le président Vladimir Poutine l’a promulguée en mai.

La loi comporte deux parties. Elle permet la création d’un système alternatif de noms de domaine (DNS) afin que, en cas d’urgence, la Russie puisse se déconnecter du reste de l’Internet mondial. Elle exige également davantage de filtrage en obligeant les fournisseurs d’accès Internet russes à acheter et à installer des outils d’inspection approfondie des paquets (DPI). Après l’entrée en vigueur, les autorités russes ont eu jusqu’à janvier 2021 pour mettre en place la technologie nécessaire à la nouvelle législation, alors que les tests se sont poursuivis dans certaines régions du pays jusqu’à la fin de 2019.

Vladislav Zdolnikov, un blogueur informatique basé à Moscou, a considéré la technologie mise en place par la Russie comme étant de « haute qualité ». Il a déclaré à l’époque craindre qu’avec cet équipement, Roskomnadzor puisse non seulement bloquer plus efficacement le contenu, mais aussi ralentir certains services Internet spécifiques à l’insu de l’utilisateur – notamment YouTube et Facebook.

Toutefois, Artem Kozlyuk, fondateur de l’ONG de droits numériques Roskomsvoboda, a déclaré à l’époque ne pas partager les craintes de certains critiques qui craignent que l’Internet russe puisse être soudainement coupé du reste du monde. Selon lui, l’infrastructure Internet de la Russie s’est rapidement développée dans les années 1990 grâce à des milliers d’opérateurs Internet et à un nombre considérable de connexions transfrontalières, contrairement à la Chine où l’Internet a été centralisé dès le début.

« La Russie qui se sépare du World Wide Web serait comme si elle fermait son espace aérien », a déclaré à l’époque Kozlyuk, ajoutant qu’un scénario plus probable serait que des régions spécifiques du pays connaissent une fermeture d’Internet pendant de courtes périodes.

Malgré ce pouvoir extraordinaire que confère cette loi aux autorités russes, le président Vladimir Poutine a déclaré en décembre 2019 que le pays ne se déconnectera pas, et la loi est une précaution, a rapporté Reuters à l’époque. « Nous n’allons pas fermer l’Internet et nous n’avons aucune intention de le faire », a déclaré le président. « Cette loi vise uniquement à éviter les conséquences négatives d’une éventuelle déconnexion du réseau mondial, qui est largement contrôlé de l’extérieur. »

La déclaration de Medvedev vient après la menace d’imposer une amende à certaines sociétés de médias sociaux

La création de cette loi a été critiquée par les militants des droits de l’homme en Russie depuis le début de l’année. Ils ont fait valoir que son éventuelle efficacité constituait une menace pour la liberté d’expression et les médias.

La déclaration de Medvedev a été faite après les manifestations massives qui ont eu lieu dans plus de 100 villes russes au cours des deux dernières semaines. Les manifestants protestaient contre l’arrestation d’Alexeï Navalny, un critique du président russe Vladimir Poutine et auteur d’un documentaire intitulé “Le palais de Poutine”, qui a déjà atteint la barre des 100 millions de vues sur YouTube.

Cette déclaration arrive également alors que l’agence de régulation des télécommunications du pays a déclaré, la semaine dernière, qu’elle infligerait une amende à sept sociétés de médias sociaux étrangers pour ne pas avoir retiré les vidéos promouvant les manifestations.

« Facebook, Instagram, Twitter, TikTok, VKontakte, Odnoklassniki et YouTube seront condamnés à des amendes pour non-respect des exigences visant à empêcher la diffusion d’appels à des mineurs pour participer à des rassemblements non autorisés », a déclaré Roskomnadzor dans un communiqué publié sur son site Web mercredi dernier.

Les vidéos de soutien au leader de l’opposition emprisonné Alexeï Anatolievitch Navalny avaient suscité des centaines de millions de vues sur les médias sociaux suite à son arrestation et à la publication d’une enquête largement diffusée sur un palais d’une valeur de 1,4 milliard de dollars qui aurait été construit pour le président Vladimir Poutine. Un grand nombre de vidéos montraient de jeunes Russes parlant de leurs projets de protestation et donnant des conseils aux nouveaux manifestants sur la manière de se comporter lors d’un rassemblement, a rapporté le Moscow Times.

Roskomnadzor avait précédemment indiqué que les entreprises avaient répondu à 89 % de ses demandes. Mais mercredi dernier, le régulateur a déclaré que les sites de médias sociaux n’avaient pas réussi à retirer un total de 170 vidéos « en temps voulu » avant les manifestations du 23 janvier. Selon la loi russe, le non-respect des demandes de retrait de contenu est puni par des amendes allant de 800 000 roubles (10 500 $) à 4 millions de roubles (52 000 $).

« Nous rappelons aux administrateurs des réseaux sociaux qu’en cas de récidive, l’amende peut être portée à un dixième du revenu annuel », a ajouté Roskomnadzor.

Cette annonce intervient le jour même où Poutine a critiqué le pouvoir croissant des sociétés de médias sociaux. Dans un discours prononcé au Forum économique mondial de Davos par liaison vidéo, Poutine a averti que les plateformes de médias sociaux n’étaient « plus seulement des géants économiques – dans certains domaines, elles sont déjà en concurrence de facto avec les États ».

« Où est la limite entre une entreprise mondiale prospère et des services populaires qui […] essaient de contrôler grossièrement et à leur propre discrétion la société, de remplacer les institutions démocratiques légitimes [et] de restreindre le droit naturel de la personne à décider comment vivre, quoi choisir et quels points de vue exprimer librement », a-t-il ajouté.

Rappelons que les plateformes de médias sociaux ont fait la une des médias en janvier lorsqu’elles ont suspendu, voire supprimer pour certains réseaux, les comptes de l’ancien président américain Donald Trump et certains de ces soutiens alors qu’il était encore à la Maison-Blanche. Les suspensions ont fait suite à l’émeute des partisans de Trump sur le Capitole américain lors de la confirmation du président élu Joe Biden.

Lire aussi : La Russie prévoit d’infliger des amendes pour les citoyens qui utiliseront l’internet StarLink d’Elon Musk

Sources : DeveloppezInterfax, Roskomnadzor


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