Restauration de Notre-Dame de Paris : une loi polémique pour un projet encore obscur


L’Assemblée nationale a examiné le projet de loi encadrant la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, dont les courts délais annoncés par le chef de l’Etat et les dérogations aux règles envisagées font l’objet de débats passionnés.

Nombre de députés de l’opposition ont dénoncé, le 10 mai lors des débats à l’Assemblée nationale, l’inutilité d’«une loi d’exception» pour encadrer la restauration de Notre-Dame. Face à eux, le ministre de la Culture, Franck Riester, a tenté de justifier le projet de loi, dès l’ouverture de la discussion parlementaire : «Si aucune opération de restauration de monument historique n’avait encore donné lieu à une telle adaptation législative, c’est parce que nous sommes face à une situation inédite dans notre histoire. Le chantier qui s’annonce est exceptionnel, ambitieux, unique.»

«Une vieille dame vient de chuter et avant même de faire un diagnostic sur son état, on lui prescrit une ordonnance, des anxiolytiques, un régime et on lui demande de préparer un marathon»

Chef d’œuvre de l’art gothique, la cathédrale de Paris a été frappée le 15 avril par un incendie qui a détruit sa charpente et la flèche, signée Viollet-le-duc. Le président Emmanuel Macron a souhaité que l’édifice puisse être restauré en cinq ans, un délai jugé irréaliste par certains spécialistes.

Respecter les règles de restauration du code du patrimoine…

«Ce n’est pas en imposant un agenda» calqué sur «les Jeux olympiques de Paris en 2024» que «nous seront fidèles» à Notre-Dame, a critiqué le député de La France insoumise, Alexis Corbière. «Une vieille dame vient de chuter et avant même de faire un diagnostic sur son état, on lui prescrit une ordonnance, des anxiolytiques, un régime et on lui demande de préparer un marathon», a également dénoncé la députée insoumise Clémentine Autain.

«C’est un délai ambitieux, volontariste qui permet de mobiliser l’ensemble des équipes concernées», a rétorqué Franck Riester, affirmant que les travaux ne se feraient «pas à la hâte» et respecteraient «les règles de restauration [du] code du patrimoine».

Face aux dons et promesses de dons de particuliers, d’entreprises ou de collectivités, qui approcheraient désormais le milliard d’euros, le gouvernement a prévu d’inscrire dans la loi un dispositif de gestion et de contrôle.

«[Les dons] iront uniquement et intégralement à Notre-Dame»

Le texte entérine l’ouverture de la souscription nationale depuis le 16 avril et prévoit que l’ensemble des dons recueillis seront reversés à l’Etat ou un établissement public. Les donateurs particuliers pourront bénéficier d’une réduction d’impôts de 75% dans la limite de 1 000 euros pour tous les dons effectués entre le 16 avril et le 31 décembre 2019.

Cette première partie du projet de loi a été peu critiquée au Palais Bourbon, la seule question en débat étant de savoir ce que l’Etat ferait d’un éventuel surplus des dons, une fois les travaux réalisés. Franck Riester a cependant appelé à la prudence ceux qui évoquent déjà des excédents : «Si certains dons nous sont déjà parvenus, d’autres sont en attente de concrétisation et le coût total des travaux n’a pas été chiffré.» Il a également réaffirmé que l’ensemble des dons «iront uniquement et intégralement à Notre-Dame». Le montant total des travaux ne dépasserait pas 600 à 700 millions d’euros selon diverses estimations.

… ou déroger à certaines règles d’urbanisme pour reconstruire au plus vite

La seconde partie du projet de loi est la plus controversée. Elle porte sur la création par ordonnance d’un établissement public pour concevoir, réaliser et coordonner les travaux. Il est prévu par ailleurs une habilitation du gouvernement à déroger si nécessaire à certaines règles d’urbanisme, de protection de l’environnement, de commande publique ou de préservation du patrimoine.

«Ce matin vous nous proposez, par habilitation, de vous donner un chèque en blanc», a dénoncé Frédérique Dumas (UDI-Agir) citant un sondage Odoxa paru ce 10 mai dans la presse selon lequel «72% des Français [seraient] très opposés à une loi d’exception» pour Notre-Dame.

https://twitter.com/DeputesUDIAGIR/status/1126908043311108096

«La France, qui en matière de patrimoine fait référence partout dans le monde, a en main tous les outils qui doivent permettre une restauration et une conservation réussies [..] Inutile de déroger aux règles environnementales, patrimoniales et même de la commande publique, le choix de l’ordonnance nous fait sortir du jeu», a abondé le socialiste Christophe Bouillon qui déplore que le «texte [soit] malheureusement trop flou à l’heure actuelle sur un certain nombre d’aspects». Il demande ainsi «plus de garanties».

«Le Parlement est une nouvelle fois réduit à donner tout pouvoir à l’exécutif à travers des ordonnances», a renchéri Elsa Faucillon (Parti communiste) dénonçant «un précédent dangereux pour les futures opérations de reconstruction». «Il n’est pas question de se servir de la restauration de Notre-Dame pour piétiner le droit français et européen du patrimoine, de l’environnement ou de l’urbanisme», a assuré le ministre de la Culture.

Reconstruire à l’identique ? «Nous le devons aux bâtisseurs du XIIIe siècle», estime le vice-président de l’Assemblée nationale

Malgré tout, les explications de Franck Riester ont peiné à convaincre. Le député Les Républicains, Marc Le Fur, s’est par exemple inquiété de voir «fleurir différents projets». Le parlementaire des Côtes d’Armor et vice-président de l’Assemblée nationale a également estimé en séance que c’était «un devoir» de reconstruire à l’identique. «Nous le devons aux bâtisseurs du XIIIe siècle», a-t-il expliqué, souhaitant que le caractère intangible de l’architecture de Notre-Dame de Paris soit inscrit dans le projet de loi. Il a également tancé des collègues de la majorité – sans les citer – en raillant leur proposition d’utiliser des «matériaux recyclés» pour la reconstruction de la cathédrale.

Le député de Debout La France, Nicolas Dupont-Aignan, a lui aussi interpellé le gouvernement : «Pourquoi un concours international d’architecture alors que Viollet-le-Duc a laissé tous les plans de sa flèche ? Croyez-vous que les Français aient souhaité verser de l’argent pour satisfaire la démesure du président de la République qui se croit propriétaire de Notre-Dame de Paris ?», a-t-il interrogé, poursuivant : «Vous feriez bien d’entendre les Français qui ne veulent pas de geste architectural contemporain et qui veulent la restauration de Notre-Dame à l’identique quel qu’en soit le temps nécessaire.»

Loin de faire l’unanimité, le projet de loi de la majorité semble, comme de coutume, unir toutes les oppositions.

Lire aussi : Un toit en verre remplacera-t-il la charpente en bois de la cathédrale Notre-Dame ?

Source : RT France


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