Le Parlement adopte définitivement la proposition de loi de lutte contre la haine en ligne


Le Parlement a adopté définitivement mercredi 13 mai, par un ultime vote à l’Assemblée nationale, la proposition de loi controversée de la députée LREM Laetitia Avia de lutte contre la haine en ligne.

L’Assemblée nationale a définitivement adopté mercredi 13 mai la proposition de loi « visant à lutter contre les contenus haineux sur internet », qui prévoit notamment la création d’un parquet dédié et des sanctions contre les géants du secteur.

Les députés se sont prononcés à main levée sur ce texte qui projette à partir de juillet pour les plateformes et moteurs de recherche l’obligation de retirer sous 24 heures les contenus « manifestement » illicites, sous peine d’être condamnés à des amendes jusqu’à 1,25 million d’euros. Sont visées les incitations à la haine, la violence, les injures à caractère raciste ou encore religieuses.

« Avant de franchir la ligne rouge »

Alors que la France sort de deux mois de confinement lié à l’épidémie de coronavirus, période propice à une suractivité sur les réseaux sociaux, le gouvernement a souligné l’importance d’une régulation en la matière.

« Pendant ces deux mois, la haine a augmenté sur fond de complotisme, d’antisémitisme, de xénophobie et d’homophobie. Ce fléau a contribué à renforcer le sentiment d’isolement de certaines victimes, tandis que les auteurs de ces contenus haineux se sentaient toujours, et plus que jamais, intouchables », a déclaré dans l’hémicycle le secrétaire d’État chargé du Numérique, Cédric O.

La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a elle aussi émis le souhait que ce texte, qui inquiète les défenseurs des libertés individuelles, contribue à faire ralentir le débit du flot de haine en ligne. « Quiconque sait qu’il devra, avec une probabilité élevée, répondre de ses actes, réfléchit bien souvent à deux fois avant de franchir la ligne rouge », a-t-elle dit.

La proposition de loi requiert la coopération des leaders du secteur que sont notamment Facebook, Twitter et YouTube. Les sites auront 24 heures pour supprimer les messages « manifestement illicites ». Le retrait devra se faire dans l’heure pour les contenus à caractère terroriste et pédo-pornographique.

En cas de manquement, une sanction administrative d’un montant maximum de 4 % du chiffre d’affaires mondial des plates-formes pourra être prononcée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.

« Des obligations inapplicables et inutiles »

Le texte prévoit de simplifier les procédures de signalement des contenus haineux via l’instauration d’un bouton unique. Sont aussi annoncés la création d’un parquet numérique spécialisé et d’un observatoire de la haine en ligne.

« Pour une large partie, ces obligations seront inapplicables et inutiles », a estimé lundi dans un communiqué l’association de défense des libertés individuelles sur internet Quadrature du Net (QDN), pour qui le législateur aurait dû cibler « le modèle économique des géants du Web ».

La QDN juge en outre « irréaliste » le retrait en une heure de certains contenus. Dans l’hémicycle, des députés de tous bords ont dénoncé une atteinte à la liberté d’expression ; certains ont dit leur inquiétude à l’idée de laisser la police juger si un contenu doit être censuré ou non.

Une « société de la surveillance généralisée »

La majorité ainsi que les députés UDI-Agir ont pour la plupart voté en faveur de cette « proposition de loi de responsabilisation » des plateformes, et les socialistes se sont abstenus.

Inquiets pour la liberté d’expression, les parlementaires de droite, de Libertés et territoires, de LFI et du RN s’y sont opposés, dans une ambiance houleuse. Plusieurs jugent aussi les dispositions « inefficientes » sans régulation européenne.

Une saisine par la droite du Conseil constitutionnel se profile, alors que le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, avait fustigé il y a quelques mois un texte confiant aux GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) « le soin de réguler une liberté publique », y voyant une « société de la surveillance généralisée ».

Dans un baroud d’honneur, les Insoumis ont défendu une motion de rejet, demandant par la voix d’Alexis Corbière quelle est « l’urgence à mettre en place une loi liberticide ».

Les communistes ont boycotté la séance, dénonçant un « fonctionnement inacceptable » de l’Assemblée nationale, alors que la présence des députés est limitée à 150 pour raisons sanitaires.

De nombreuses réserves

Marine Le Pen est pour sa part venue défendre la suppression de la mesure phare, y voyant « une véritable épouvante ». « Vous sous-traitez la censure au privé » et le « rôle du juge » disparaît, a accusé la présidente du RN.

Mais il n’y a « en aucun cas un retrait de l’autorité judiciaire », a assuré la garde des Sceaux Nicole Belloubet, rappelant le nouveau « délit de non-retrait » pour plateformes et moteurs, ainsi que « la création d’un parquet spécialisé ».

Dans le droit fil de l’engagement d’Emmanuel Macron depuis 2018 à renforcer la lutte contre la haine raciste et antisémite qui prospère sur internet, la proposition de loi avait entamé son parcours parlementaire en avril 2019. Elle avait ensuite été assez largement remaniée, au gré des critiques ou observations, jusqu’à la Commission européenne qui demandait un meilleur ciblage des contenus incriminés.

Le texte a suscité de nombreuses réserves, notamment du Conseil national du numérique, de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, ou encore de la Quadrature du Net, qui défend les libertés individuelles dans le monde du numérique.

Une série de nouvelles contraintes

Alors que l’Hexagone se veut à la pointe du mouvement mondial de régulation, mais peine à faire avancer le sujet, Cédric O juge l’équilibre « atteint » entre liberté d’expression et « efficacité ».

Les grandes entreprises du numérique affichent leur soutien au renforcement de la lutte contre la haine en ligne, mais l’obligation de retrait inquiète. Car elle obligera les plateformes à décider très rapidement, au risque d’une cascade de polémiques et conflits juridiques.

Au-delà, le texte prévoit une série de nouvelles contraintes pour les plateformes : transparence sur moyens et résultats obtenus, coopération renforcée notamment avec la justice, surcroît d’attention aux mineurs. Le tout sera contrôlé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Ce vote définitif est intervenu alors que Laetitia Avia est elle-même mise en cause par Mediapart pour des « humiliations à répétition » et des « propos à connotation sexiste, homophobe et raciste » à l’encontre de cinq ex-collaborateurs parlementaires. L’élue de Paris, qui dénonce des « allégations mensongères », a indiqué qu’elle allait déposer plainte pour diffamation.

« La lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie » sera « probablement le combat de toute ma vie », a clamé dans l’hémicycle Laetitia Avia, avocate de profession de 34 ans. Cédric O l’a faite applaudir par la majorité, assurant que « laisser penser » le contraire « est un non-sens absolu ».

Lire aussi : Accusée d’humiliation et de racisme, la députée LREM Laetitia Avia va porter plainte pour diffamation

Source : Ouest-France


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