L’Europe va-t-elle torpiller l’obligation d’étiquetage [nano] dans l’alimentation ?


La Commission européenne vient de dévoiler son projet de nouvelle définition du terme “nanomatériau manufacturé” dans la législation alimentaire européenne.

Quatre Six semaines seulement de consultation sont prévues pour un sujet pourtant extrêmement technique et surtout hautement controversé – et déjà retoqué il y dix ans en raison de ses impacts négatifs en matière de santé publique.

Le nouveau projet de définition de la Commission…

Un an et demi après la publication de sa recommandation contestée de définition du terme “nanomatériau” en 2022, la Commission européenne a mis en ligne, le 30 novembre, son projet d’acte délégué visant à intégrer cette définition à sa législation alimentaire1. Une consultation de quatre six semaines est ouverte jusqu’au 28 décembre 2023 12 janvier 20242, ouverte à tous sur le site dédié https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/….

… ressemble à s’y méprendre à la définition rejetée il y a dix ans

Il s’agit peu ou prou d’un projet quasi identique à celui que la Commission avait déjà proposé il y a dix ans, en décembre 2013. Contesté à l’époque notamment par les autorités françaises, critiqué par la fédération européenne des associations de consommateurs (BEUC), ce projet avait finalement été rejeté par le Parlement européen en mars 20143.

Certes, il existe quelques différences entre les deux projets d’actes délégués4, cependant, les points noirs des deux textes sont très similaires : le risque est grand qu’au final, il ne reste quasiment plus aucune substance susceptible d’être considérée – et donc étiquetée – comme un nanomatériau dans l’alimentaire… malgré la présence avérée de très nombreux ingrédients contenant une fraction nanoparticulaire significative.

Pourquoi faire rentrer par la fenêtre une définition que le Parlement avait fait sortir par la porte il y a dix ans ? Ce projet de la Commission européenne fait fi de l’avancée de la science et des connaissances qui, depuis 2014, ont confirmé que les nanomatériaux sont capables de franchir les barrières physiologiques et qu’ils sont très souvent plus dangereux que les substances à l’état micro ou macro.

Seuls les ingrédients à + de 50% nano seraient soumis à l’obligation d’étiquetage [nano], contre +10% actuellement 

Entre autres points contestés, le nouveau projet de la Commission européenne conduirait à ce que ce ne soient plus considérés comme des nanomatériaux dans l’alimentaire :

  • les particules qui ne sont pas solides comme les nanovecteurs de type micellaire (vésicules, liposomes, particules lipidiques, etc.)
  • les objets nanostructurés
  • les ingrédients contenant moins de 50% de particules de taille inférieure à 100 nm.

Ce dernier point est celui qui avait conduit à l’abandon du premier projet de la Commission car il supprimerait l’obligation d’étiquetage [nano] pour les ingrédients contenant pourtant des nanoparticules dont certaines sont potentiellement dangereuses pour les consommateurs.

La définition des nanomatériaux manufacturés encore en vigueur dans le Règlement relatif aux nouveaux aliments5 et que la Commission propose de remplacer par la recommandation de définition de 2022 ne comporte pas de seuil minimal de particules de taille inférieure à 100 nm.

Jusqu’à présent, les autorités françaises ont appliqué une tolérance de 10%, ce qui est beaucoup plus protecteur pour l’information et la santé des consommateurs qu’un taux de 50% : ce dernier donnerait par exemple toute latitude aux entreprises pour utiliser un ingrédient composé à 49% de particules inférieurs à 100 nm sans l’étiqueter [nano]…

Une réponse (illusoire) à la demande de l’industrie chimique

En quoi ce qui avait été jugé irrecevable en 2014 serait-il devenu plus acceptable aujourd’hui ? “Il s’agit d’harmoniser la terminologie” rétorque-t-on du côté de la Commission. Car plusieurs définitions différentes du terme “nanomatériaux” coexistent, ce qui complexifie le travail des producteurs, importateurs et marchands de produits chimiques : ces derniers se plaignent des difficultés qu’ils rencontrent quand il s’agit devoir déclarer des “nanomatériaux” définis différemment dans divers registres nationaux (comme r-nano en France), dans REACH au niveau européen et dans les règlementations sectorielles (alimentation, cosmétiques, biocides, dispositifs médicaux, etc.).

Lorsque les fournisseurs procèdent à une caractérisation précise et complète des substances et transmettent correctement les informations aux entreprises en aval, ces dernières peuvent appliquer la définition et la réglementation appropriée à leur secteur (alimentaire ou autre).

Plus que le confort de l’industrie chimique, c’est donc le droit à l’information et la sécurité sanitaire qui doivent prévaloir. Or ces derniers seraient clairement bafoués si le projet de la Commission venait à être appliqué.

Au final, ni les consommateurs, ni l’industrie agro-alimentaire n’ont intérêt à que ce projet soit adopté

Le droit à l’information des consommateurs doit-il être sacrifié sur l’autel du confort des entreprises de la chimie ?
Et cette nouvelle définition règlerait-t-elle les problèmes rencontrés le plus fréquemment par les entreprises de l’agro-alimentaire : attestations erronées, mauvaise caractérisation des substances, défaillances dans la transmission des informations entre fournisseurs et marques, etc. ? Aux deux questions, une réponse par la négative s’impose d’elle-même.

Au contraire, les consommateurs comme l’industrie agro-alimentaire6 auraient fort à perdre avec le projet actuel. Les seuls à tirer leur épingle du jeu seraient – éventuellement – l’industrie chimique… et – assurément – les juristes. Car l’adoption du projet introduirait de nouvelles confusions terminologiques et métrologiques : l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) a déjà alerté à plusieurs reprises sur les écueils de la recommandation de 2022, notamment dans un rapport très étayé d’avril 2023 montrant que cette définition, peu robuste d’un point de vue strictement scientifique, serait très compliquée à mettre en œuvre. Si elle était adoptée, elle entraînerait à coup sûr de longues querelles d’experts et d’avocats sur l’interprétation des termes et sur l’application de la définition sur le plan réglementaire. En bref, un nouveau casse-tête en perspective pour les entreprises et pour la répression des fraudes !

Enfin et surtout, l’ANSES et AVICENN7considèrent que sa mise en œuvre dans les réglementations sectorielles (dans l’alimentaire donc, notamment) serait préjudiciable à la prévention des risques sanitaires et environnementaux. Et selon nos informations, les autorités françaises et belges tentent également de contrecarrer le taux de 50% que souhaite imposer la Commission européenne.

Les tests réalisés par les associations en France (Agir pour l’Environnement8, 60 Millions de consommateurs9, Que Choisir10, AVICENN11) puis à l’étranger (en Allemagne12, en Italie13, en Belgique14 ou encore en Espagne15), ont déjà montré à de nombreuses reprises la présence de nanoparticules dans des produits alimentaires. Qu’on se le dise, une définition en trompe-l’œil, quand bien même elle supprimerait l’obligation de mention [nano] des emballages de produits alimentaires en deçà de 50%, ne supprimerait pas les nanos détectées au microscope électronique dans les produits concernés – ni les risques qui y sont potentiellement liés.

AVICENN répondra à la consultation et vous invite à faire de même. N’hésitez pas à nous faire part de vos interrogations, commentaires ou contributions en vue d’une défense du droit à l’information et à la protection des consommateurs.

Notes and references

Lire aussi : Des microplastiques ont été découverts dans la partie la plus profonde des poumons humains

Source : VeilleNanos


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